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ARISTOTE.

seur en philosophie à Bâle, auteur d’un livre de Vitâ Aristotelis, et ejus Operum Censura.

(A) Je pense avoir trouvé quelques erreurs touchant Aristote dans la narration du père Rapin. ] Cette remarque sera un peu longue ; ainsi j’userai de division.

I. Dire, qu’encore qu’Aristote eût quitté ses études par pur libertinage, et eût abusé quelque temps de l’indulgence de son tuteur, il réussit néanmoins dans la poésie, témoin le poëme qu’il composa sur la mort des guerriers qui furent tués au siége de Troie[1], n’est pas raisonner juste ; car si Eustatius et Porphyre, qui font mention de ce poëme, ne disent pas expressément qu’Aristote le composa dans sa jeunesse[2], nous pouvons penser qu’il le fit après s’être remis à l’étude ; et alors, on ne pourra plus débiter ce poëme comme une preuve des progrès qu’il fit en poésie, nonobstant son libertinage.

II. Dire, qu’ayant dissipé par ses débauches une partie du bien que son père lui avait laissé, il se jeta dans les troupes de la république[3], est une expression impropre, et très-vague. S’il s’agissait d’un homme né dans Athènes, ou à Lacédémone, on entendrait bien cette expression ; mais il s’agit d’un homme qui était né dans la Macédoine. Athénée ne connaissait qu’un seul auteur qui eût dit qu’Aristote, ayant dépensé son patrimoine, s’enrôla, et puis se mit à vendre des drogues, après avoir vu que la profession des armes n’était point son fait[4]. L’auteur unique de cette histoire était Épicure. Il y a beaucoup d’apparence qu’Elien la tenait de lui[5]. Aristocle, qui l’a rejetée, ne cite que le seul Épicure[6]. Quoi qu’il en soit, aucun des auteurs que le père Rapin allègue, ne spécifie dans quelles troupes Aristote prit parti, et ils arrangent tous de cette manière les faits. Premièrement, Aristote dépensa son bien, puis il s’en alla à la guerre, ensuite il leva boutique et enfin il s’attacha aux leçons de Platon. Le père Rapin veut qu’il ait été en même temps vendeur de drogues et disciple de Platon. Les auteurs qu’il cite[7] ne disent rien touchant l’union de ces deux choses ; mais je ne crois pas que pour cela il le faille censurer ; car il est fort vraisemblable, que parce qu’Aristote avait dissipé son bien, il fut contraint, pour subsister pendant quelque temps, de faire un petit trafic de poudres de senteur, et de remèdes qu’il débitait à Athènes. C’est ainsi que parle le père Rapin, par rapport au temps où Aristote étudiait en philosophie. François Patricius va beaucoup plus loin : il croit qu’Aristote fut auditeur de Platon jusqu’à l’âge de quarante ans, et qu’il exerça la pharmacie et la médecine jusqu’à ce temps-là, afin d’avoir de quoi vivre. Satis constat inter omnes ad quadragesimum usque ætatis annum Platonis fuisse auditorem : quo universo tempore pharmacopolii arte, nec non etiam medicâ, victum quæritâsse satis est et historiæ et rationi consonum[8]. Il ajoute qu’anciennement les médecins faisaient le métier d’apothicaire, et que trois raisons persuadent qu’Aristote était médecin. Il était de famille à cela. Il a composé un ouvrage de la Santé et des Maladies : et il inspira plus que personne à Alexandre l’étude de la médecine, en quoi ce monarque acquit beaucoup de lumières, tant pour la théorie, que pour la pratique[9]. Enfin Patricius allègue le témoignage de Timée. Cet historien a fort mal parlé d’Aristote, et lui a reproché nommément la fermeture d’une boutique de remèdes très renommée. Τὸ πολυτίμητον ἰατρεῖον ἀποκεκλεικότα[10], qui pretiosam tabernam medicam clausit. Je ne sais s’il ne me sera point permis de m’imaginer que Timée se moquait en se servant de l’épithète πολυτίμητον. Sans

  1. Rapin, Comparaison de Platon et d’Aristote, pag. 303.
  2. Le père Rapin ne dit point qu’ils fassent cette remarque.
  3. Là même.
  4. Athen., lib. VIII, pag. 354.
  5. Ælian., Var. Hist., lib. V, cap. IX.
  6. Apud Eusebium Præp., lib. XV, cap. II, pag. 791.
  7. Aristocles Messen. ex Epistolâ Epicurii ; Ælian., lib. V, cap. IX ; Athenæus, lib. VIII.
  8. Fr. Patricius, Discus. Peripat., tom. I, pag. 3.
  9. Plutarch., in Alexandro.
  10. Timæus, apud Suidam, in Ἀριςοτέλης.