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ANABAPTISTES.

lieu de sûreté si les magistrats ne les eussent exilés[1]. Ce fut là que Thomas Schucker coupa la tête à son frère, l’an 1527. Il convoqua une nombreuse assemblée, et déclara à la compagnie qu’il se sentait saisi de l’esprit de Dieu. Là-dessus il commanda à son frère de s’agenouiller, et prit une épée. Son père et sa mère, et quelques autres personnes, lui demandèrent ce qu’il voulait faire : Ayez l’esprit en repos, leur répondit-il, je ne ferai rien que ce qui me sera révélé par notre Père céleste. On attendait avec impatience l’issue de tout cela, lorsqu’on le vit tirer son épée, et faire sauter la tête de son frère. Il fut puni par les magistrats selon l’exigence de son crime ; mais il ne donna aucune marque de repentir, et il déclara sur l’échafaud qu’il n’avait fait qu’exécuter les ordres de Dieu. Vous pouvez croire que la sévérité des édits de bannissement fut redoublée à la vue d’un tel fanatisme[2]. À Strasbourg il y eut des disputes et des édits très-rigides contre cette secte[3]. On y emprisonna Melchior Hofman, l’un de ses chefs, et il mourut en prison[4]. Elle se répandit dans la Moravie, dans la Bohème, dans la Pologne, dans la Hongrie, dans l’Autriche, dans la Silésie. Quelques-uns de ses chefs furent livrés au bourreau. Balthasar Hubmeyer, mené à Vienne, y fut brûlé.

Cette exécution passa dans la secte pour un martyre, et y réchauffa le zèle[5].

Ajoutons à tout cela que la reine Élisabeth, la première fois qu’ils abordèrent en Angleterre, l’an 1560, fit un édit qui leur commandait de se retirer incessamment[6]. L’électeur palatin les chassa de ses états l’an 1594. Les diètes de Spire, l’an 1529 et l’an 1544, et celle d’Augsbourg, l’an 1551, firent des décrets barbares et sanguinaires contre eux[7]. Philippe II ordonna, en 1565, à la gouvernante du Pays-Bas, de n’user d’aucune remise ni d’aucun relâchement dans la punition des anabaptistes[8]. Consultez les Annales de cette secte, composées par Jean Henri Ottius ; vous y verrez une ample énumération des édits qui ont été faits contre elle en plusieurs lieux de l’Europe. Ce que l’on dit de l’artillerie, qu’elle est la dernière raison des rois, Ratio ultima regum, se peut appliquer aux lois pénales : elles sont la dernière raison des théologiens, leur plus puissant argument, leur Achilles, etc.

(C) Ils tourmentèrent fort la ville de Munster. ] Ce qui se passa dans cette ville depuis que l’anabaptisme y eut pris pied jusqu’au supplice de Jean de Leide est un des plus mémorables évévemens du XVIe. siècle. On en trouve la relation dans plusieurs livres [* 1]. Voyez nommément la lettre qui fut écrite à Érasme par Conrad Heresbachius [9], l’an 1536, et qui a été imprimée à Amsterdam, l’an 1637, cum Hypomnematis ac Notis Theologicis, Historicis, ac Politicis, Theodori Strackii, pastoris Budericensis. Voyez aussi le livre de Lambert Hortensius, de Tumultibus Anabaptistarum ; celui de Jean Wigandus, de Anabaptismo publicato ; et la Relation d’Henri Dorpius, bourgeois de Munster, publiée l’an 1536.

(D) Cette secte s’est guérie de ses principales faiblesses. ] C’est pourquoi les anabaptistes d’aujourd’hui se plaignent qu’on les réfute comme on réfutait leurs ancêtres. Un théologien illustre de l’académie de Hollande s’est vu exposé à ce reproche dans une lettre qu’un anabaptiste a publiée en flamand ; mais il lui a repondu qu’il ne prétend pas imputer à tous toutes les erreurs qu’il a marquées : Has (sectas) ut minimè confundimus in controversiis singulis, ità nec notatos errores omnes omnibus imputa-

  1. (*) M. Bayle a omis involontairement, ce semble, le poème héroïque latin en deux livres, composé par Herman Kerssenbroeck, récité par l’auteur en pleine assemblée de l’université de Cologne, et imprimé à Cologne même l’an 1545, in-8o. La pièce est dédiée à l’évêque de Munster et d’Osnabruk, François, comte de Waldeck, et le titre en est : Belli Monasteriensis contra Anabaptistica monstra gesti, brevis atque succincta descriptio. Rem. crit.
  1. Turbones urbe ejecti fuêre. Idem, ibid. pag. 204.
  2. Idem, ibid.
  3. Id. ibid. pag. 205.
  4. Id. ibid. pag. 212.
  5. Idem, ibid.
  6. Hoornbeek, Summa controvers. pag. 281.
  7. Idem, ibid.
  8. Idem, ibid. citans Stradæ Hist. Belg. lib. IV.
  9. Il a été gouverneur des fils du duc de Clèves, et puis conseiller du duc, et il fut au siége de Munster.