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ANDRONICUS.

les deux espèces de leçons qu’Aristote faisait à ses écoliers, donne mot à mot une lettre qu’Alexandre écrivit à Aristote, et la réponse d’Aristote, et nous apprend qu’il avait trouvé ces deux lettres dans un ouvrage du philosophe Andronicus. Personne ne saurait dire si cet ouvrage est la paraphrase des catégories, ou celle de la physique. On sait bien qu’Andronicus a paraphrasé ces deux traités d’Aristote (E). Je ne crois pas qu’il ait été le maître de Strabon (F).

(A) Il vint à Rome au temps de Pompée et de Cicéron. ] On peut recueillir cela de deux passages de Plutarque : l’un est dans la Vie de Sylla [1], l’autre dans la Vie de Luculle [2]. Celui de la Vie de Sylla nous apprend trois choses : 1°. Que Sylla fit porter d’Athènes à Rome la bibliothéque d’Apellicon, où les œuvres d’Aristote se trouvaient pour la plupart ; 2°. Que le grammairien Tyrannion tira de la bibliothéque de Sylla plusieurs livres ; 3°. Qu’Andronicus le Rhodien eut de ce Tyrannion les ouvrages d’Aristote. L’autre passage de Plutarque nous apprend que Tyrannion fut pris par Luculle à la défaite de Mithridate, et que Muréna, l’ayant demandé à Luculle, l’affranchit. On sait d’ailleurs que ce grammairien s’enrichit à Rome, et y amassa une nombreuse bibliothéque. Il faut donc qu’Andronicus ait été à Rome au temps que je marque, puisqu’il retira des mains de Tyrannion les ouvrages d’Aristote. Nous verrons dans la remarque (C) si le père Rapin a dû dire qu’Andronicus ne vint à Rome qu’après la mort de Tyrannion.

(B) Il fit connaître les écrits d’Aristote. ] Cela suppose qu’ils n’étaient pas connus à Rome, et j’ai raison de le supposer, puisque Cicéron l’assure, et que Plutarque veut même qu’ils aient été peu connus aux Athéniens, lorsque Sylla se saisit des livres d’Apellicon [3]. Le père Rapin a remarqué avant moi ce que je suppose. Ce fut cet Andronicus, dit-il [4], qui commença à faire connaître Aristote dans Rome, environ le temps que Cicéron s’élevait, par sa grande réputation ; aux premières charges de la république... Cicéron avait appris en Grèce ce que c’était qu’Aristote : « Il connaissait une partie de son mérite, qui n’était pas encore fort connu à Rome, comme il paraît par la surprise de Trébatius qui, étant venu rendre visite à Cicéron dans sa maison de Tusculum, et étant entré avec lui en sa bibliothéque, tomba par hasard sur le livre des Topiques d’Aristote, dont Cicéron avait une copie. Trébatius lui demanda ce que c’était que ce livre, et de quelle matière il traitait ; car quoiqu’il ne fût pas ignorant, il n’avait pas toutefois encore entendu parler d’Aristote. Cicéron lui répondit qu’il ne devait pas s’en étonner ; car ce philosophe n’était connu que de fort peu de gens [5]. » Je ne saurais m’empêcher de dire ici que cet agréable écrivain ne rapporte pas exactement le passage de Cicéron. Apparemment il ne l’a point fait par mégarde, mais afin que sa narration fût moins chargée. C’est un inconvénient inséparable de ceux qui s’attachent à l’exactitude : ils ne sauraient éviter un détail qui fatigue le lecteur. Or, on aime mieux être trompé par une narration coulante et serrée, que d’être ennuyé par un discours trop exact. Voici ce qu’il aurait fallu dire pour représenter en abrégé le passage de Cicéron dans son état naturel. Trébatius, feuilletant dans la bibliothéque de Cicéron tels livres que bon lui semblait, tomba sur les Topiques d’Aristote. Il fut frappé de ce titre, et demanda tout aussitôt à Cicéron ce que c’était que cet ouvrage ; et dès qu’il l’eut su, il pria Cicéron de vouloir lui expliquer cette matière. Cicéron

  1. Pag. 468.
  2. Pag. 584.
  3. Οὔπω τότε σαϕῶς γνωριζόμενα τοῖς πολλοῖς. Haud dum satis in vulgus noti. Plutarchus, in Syllâ, pag. 468.
  4. Rapin, Comparaison de Platon et d’Aristote, pag. 374.
  5. Le père Rapin cite en marge ce qui suit : Quod quidem minimè sum admiratus eum philosophum Trebatio non esse cognitum, qui ab ipsis philosophis, præter admodùm paucos, ignoretur. Cicero Topicor. initio.