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ANDROMAQUE.

peine, en la voyant mère, qu’elle couchât avec son mari :

Nunquam ego, te Andromache, nec te, Tecmessa, rogarem,
Ut mea de vobis altera amica foret.
Credere vix videor, cùm cogar credere partu,
Vos ego cum vestris concubuisse viris [1].

(D) Après la mort, ou même du vivant de ce prince, elle épousa Hélénus. ] Cette alternative m’a paru nécessaire, parce que les auteurs ne sont pas d’accord sur le temps du mariage d’Andromaque avec Hélénus. On vient de voir que, selon Virgile, ce mariage précéda la mort de Pyrrhus. Justin le dit aussi [2]. Mais, selon Servius, elle ne devint la femme d’Hélénus que parce que Pyrrhus l’avait ordonné en mourant [3]. Pausanias met aussi leurs noces après la mort de ce prince : Τοῦτῳ γὰρ Ἀνδρομάχη συνῴκεσεν ἀποθανόντος ἐν Δελϕοῖς Πύῤῥου [4]. Huic enim (Heleno) Andromache nupsit, mortuo Delphis Pyrrho.

(E) Elle avait eu des enfans de Pyrrhus. ] Quelques-uns les mettent au nombre de trois, et les nomment Molossus, Piélus et Pergamus [5] ; ou bien Pyrrhus, Molossus et Æacide [6]. D’autres ne parlent que de Molossus [7] ; et c’est de lui, selon Euripide [8], que descendirent les rois de Molossie. Pausanias les fait descendre de Piélus. Quant à Pergamus, le même Pausanias nous apprend qu’il s’en alla en Asie, et que sa mère Andromaque l’y suivit ; qu’il tua Areüs prince de Teuthranie, s’étant battu en duel avec lui, pour la souveraineté ; qu’il donna son nom à la ville, et qu’on y voyait son tombeau avec celui de sa mère. Servius parle bien différemment de tout cela, sur le 72e. vers de la VIe. églogue de Virgile. Pour ce qui est du fils qu’Hélénus eut d’Andromaque, il s’appelait Cestrinus, et il alla s’établir, avec une troupe d’Épirotes qui le suivirent volontairement, dans une province qui était au-dessus du fleuve Thyamis ; il alla, dis-je, s’y établir, après que son père fut mort, et que le royaume eut été remis à Molossus, fils de Pyrrhus [9].

(F) Elle a été le sujet de plusieurs belles tragédies, tant anciennes que modernes. ] Celle d’Euripide subsiste encore ; et, si l’on veut savoir le succès de celle qui a paru sur le théâtre de Paris, on n’a qu’à lire ce que le Parnasse réformé a mis en la bouche de Montfleuri, fameux comédien, et y joindre un passage d’un poëte moderne : Qui voudra savoir de quoi je suis mort (c’est Montfleuri qui parle), qu’il ne demande point si c’est de la fièvre, de l’hydropisie ou de la goutte ; mais qu’il sache que c’est d’Andromaque..…. Je voudrais que tous ces composeurs de pièces tragiques, ces inventeurs de passions à tuer les gens, eussent, comme Corneille, un abbé d’Aubignac sur les bras : ils ne seraient pas si furieux ; mais ce qui me fait le plus de dépit, c’est qu’Andromaque va devenir plus célèbre par la circonstance de ma mort, et que désormais il n’y aura plus de poëte qui ne veuille avoir l’honneur de crever un comédien en sa vie [10]. Joignez à cela ces deux ou trois vers :

...........Un marquis,
Enflé de son savoir chez les dames acquis,
Ennemi du bon sens, qu’à grand bruit il attaque,
Va pleurer au Tartufe, et rire à l’Andromaque.

(G) Sa grande taille a été connue de toute la postérité. ] J’ai déjà rapporté deux vers d’Ovide sur ce sujet, dans la remarque (A). En voici deux autres du même auteur.

Parva vehatur equo : quòd erat longissima, nunquàm
Thebaïs Hectoreo nupta resedit equo [11].


Martial réfute Ovide, tant sur ceci, que sur ce qui a déjà été cité ; car voici ce qu’il dit :

Masturbabantur Phrygii post ostia servi,
Hectoreo quoties sederat uxor equo [12].


Juvénal n’a point ignoré cette grande taille, puisqu’en parlant de certaines femmes, qui élevaient divers étages d’ornemens et de cheveux sur leur tête, il dit qu’à les regarder par devant

  1. Ovid., de Arte amandi, lib. III, vs. 519.
  2. Justinus, lib. XVII, cap. III.
  3. Servius in lib. III Æneïdos, vs. 319.
  4. Pausan., lib. I, pag. 10.
  5. Idem, ibid.
  6. Scholiast. Euripid., in Andromach., vs. 24.
  7. Servius in lib. III Æneïd., vs. 319.
  8. In Andromach., vs. 1247 et seq.
  9. Pausan., lib. I, pag. 10.
  10. Gueret, Parnasse réformé, pag. 108, 109.
  11. Ovid., de Arte amandi., lib. III, vs. 777.
  12. Martial., Epigr. CV, lib. XI, vs. 13.