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ANDRELINUS.

payait ses vers au quarteron ou au cent. ] M. Baillet apporte pour preuve de cela ces quatre vers, traduits du latin d’Andrelinus, par Paradin[1] :

Croissez, mes vers, soyez en plus grand nombre ;
Car c’est aux frais et salaires du roi.
Seure richesse, empeschant tout encombre,
Exige vers en copieux arroi.


La dixième églogue d’Andrelin nous donne une chose rare : c’est un poëte qui, bien loin de se plaindre de l’ingratitude de son siècle et d’accuser les muses de ne procurer pas du pain à ceux qui se mettent à leur service, reconnaît que sa pension était copieuse ; et que lorsqu’il récita devant Charles VIII son poëme sur la conquête de Naples [* 1], il en reçut un sac d’argent, qu’il pouvait à peine porter sur ses épaules.

Dum stupeo totus visu defixus in isto,
Jupiter ecce venit magno stipatus honore ;
Ipse olim vultus inter nutritus agrestes
Admiror primo aspectu : mox poplite flexo
Ante ipsum quæsita Jovem modulamina fundo,
Scilicet ut bello claram expugnavit aperto
Parthenopem, patrios victorque redivit in agros,
Quamvis Hesperio vetitus foret orbe regressus,
Nescio quâ nostre captus dulcedine cantùs
Ipse fuit, fulvi saccum donavit et æris
Vix istis delatum humeris, cunctosque per annos
Pensio larga datur, quulem non lentus habebat
Tityrus umbrosis resonans sua gaudia sylvis.

(D) Les connaisseurs ont peu estimé ses poésies. ] Vossius nomme trois auteurs qui enfermaient de grands riens dans une grande multitude de paroles [2] : le premier est l’orateur Anaximènes, le second est Longolius, aussi orateur, le troisième est le poëte Andrelin. Quant au premier il rapporte que Théocrite de Chio, le voyant prêt à haranguer, se mit à dire : Une rivière de paroles commence à couler, et une goutte de sens. Ἀρχεται λέξεων μὲν ποταμὸς, νοῦ δε ςαλαγμός. Il dit, sur la foi de François Luisinus, que Constantin Lascaris faisait le même jugement de Longolius ; mais qu’on l’a fait plus justement d’Andrelin, dans les poésies duquel il ne manquait qu’une syllabe, comme Érasme le disait fort ingénieusement. Cette syllabe était νοῦς, qui signifie sens, entendement, esprit. Si je savais où Érasme a parlé d’une manière si peu conforme aux grands complimens et aux grands éloges qu’il a écrits à Andrelin [3], je le dirais. Je ne doute point que le jugement fait par Jules Scaliger, du poëte Faustus, ne concerne celui-ci, plutôt que Gerhardus Faustus. Fausti facilitas, dit-il[4], viventis in scribendo secundo plausu excepta est, scholas tamen sapit illa juniorum, à quâ nihil aliud quàm hoc ipsum expectes.

(E) On met sa mort à l’année 1518. ] Je ne citerai point la Bibliothéque de Konig, ni les Lettres du savant Reinesius à Daumius[5]. J’ai un témoin contemporain, qui, dans une lettre datée du 6 de mars 1518, remarque que cette année avait emporté quelques hommes doctes : Hic annus multos eximios viros tuî similes absumpsit, Marcum Musurum Romæ, tum archiepiscopum designatum, et ante hunc Paleotum Camillum, Lutetiæ Faustum immortalitate dignum[6]. On aurait tort de conclure de ces paroles, qu’Andrelin est mort l’an 1518 [* 2] ; car il est certain que Musurus mourut l’an 1517[7].

(F) C’est Érasme qui nous apprend ces petites particularités. ] On sera bien aise de les voir ici en original : Parisiensis Academiæ candorem ac civilitatem jam olim sum admiratus, quæ tot annos Faustum tulerit, nec tulerit solùm, verùm etiam aluerit evexerit

  1. * Ce doit être là qu’Andrelinus ayant dit, ce semble, que des conquêtes et des victoires du roi Charles VIII, quoique bientôt évanouies, la flétrissure (stigmata) en demeurait pourtant empreinte sur le front des Italiens. Brantome qui, au lieu de vera stigmata, lisait vera stemmata, fait dire à ce poëte que les victoires et faits belliqueux du roi Charles VIII étaient sur le front des Italiens autant de belles marques et enseignes, Voyez Brantome, Hommes illustres français, tom. IV, pag. 25., Rem. crit.
  2. * Joly, d’après Ravisius Textor, affirme qu’Andrelini est mort le 25 février 1518.
  1. Jugem. sur les poëtes, tom. III, pag. 122.
  2. Vossius, Institut. Poëtic., pag. 2.
  3. Voyez la XXIIIe. lettre du Ve. livre d’Érasme.
  4. Jul. Cæs. Scalig., de Poëtic., lib. VI, pag. 736. Voyez Baillet, Jugem. sur les Poëtes, tom. III, pag. 122.
  5. Pag. 15.
  6. Erasm. Epist. XX, lib. III, ad Petrum Barbirium. Voyez aussi l’Epîtr. XXIV du IIe. livre.
  7. Voyez les remarques sur son article.