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ARISTOTE

Thomas, dit-il s’est servi de la méthode d’Aristote avec tant de succès pour expliquer la doctrine de l’église romaine, que Bucer, un des plus grands ennemis qu’ait eus notre religion, avait coutume de dire Qu’on supprime les ouvrages de saint Thomas, et je détruirai l’église romaine (* 1). Ce fut cette méthode prise à Aristote, qui rendit la doctrine de notre religion si redoutable à tous les novateurs des derniers siècles, que, ne pouvant y résister ils entreprirent de la décrier, en déclamant contre les scolastiques, et principalement contre Aristote duquel ils avaient auparavant emprunté la méthode, qui s’est établie dans l’école depuis saint Thomas. Les anabaptistes commencérent les premiers à rendre l’usage universel de la philosophie suspect à ceux de leur secte, dans tout le septentrion où ils eurent de l’autorité et ils se servirent des paroles de saint Paul aux Colossiens, pour l’interdire dans leurs écoles (* 2) Luther se déclara avec tant de chaleur contre la philosophie d’Aristote, qu’il avança dans des thèses soutenues à Heidelberg l’année 1518 qu’on ne pouvait raisonner selon les principes de ce païen, sans abandonner les maximes de la sagesse de Jésus-Christ (* 3) et il ne laisse passer aucune occasion dans ses ouvrages de s’emporter contre ce philosophe en quoi il a été suivi de Zuingle, de Pierre Martyr, de Zanchius, de Mélanchthon (123), et de tous ceux ont combattu la doctrine de l’église romaine. Ce qui a fait dire à Melchior Cano, évéque des Canaries le plus disert de tous les scolastiques que les luthériens avaient un grand mépris pour la philosophie qui s’enseignait alors en l’école (* 4). Calvin ne parle ja

(112) Réflexions sur la Philos., pag. 450.

(* 1) Tolle Thomam, et Ecclesiam romanam subvertam. Bracer. Le père Rapin eût bien fait de citer le livre et la page de Bucer.

(* 2) Ex Nicolao Blendikio, in Historiâ Davidia Georgii ; ex Horacii Hist. Philosophica.

(* 3) Qui in Aristotele vult philosophari, prius sportet in Christuo stultificari.

(123) Nous ferons voir en son lieu que Mélanchthon était fauteur d’Aristote.

(* 4) Nullo apud lutheranos philosophiam esse in praetio. Loc theol., lib. IX, cap. III.

mais d’Aristote qu’avec toute l’aigreur et toute l’amertume de style que lui inspirait son génie naturellement chagrin et médisant. Et ce fut ainsi qu’en usèrent tous ceux qui écrivirent dans les derniers siècles contre l’église romaine. "

(Z) Le genre de mort le plus honorable pour Aristote serait de dire que le chagrin de n’avoir pu découvrir la cause du flux et reflux de l’Euripe lui causa la maladie dont il mourut.] Ce genre de mort serait une preuve de l’ardeur immense avec laquelle Aristote aurait fouillé dans les secrets de la nature. Il marquerait une extréme sensibilité pour la .gloire d’avoir appris au genre humain les mystères les plus cachés. Ne serait-ce pas mourir au lit d’honneur ? ne serait-ce pat ; s’@tre appliqué à sa charge, avec la ferme résolution de venir à bout_ son entreprise, ou de mourir à la peine ? Je trouve que ceux qui ont dit que le génie d’Anstote n’avait point d’autres bornes que celles de la nature, ou qu’il avait été admis à la plus intime confidence et au secrétariat de la nature (124), ne devraient point ad-mettre d’autre tradition, touchant sa Mort, que celle dont je parle ici. Un confident qui se voit disgracié, et qui éprouve sur ses vieux jours qu’on lui fait mystère d’une chose, ne doit point survivre à cette chute. Sérieusement parlant, je ne pense pas qu’Aristote ait été assez mal habile homme pour mourir d’un tel chagrin. Quelle apparence qu’un homme aussi avisé que lui ~u se résoudre..., u s’abandonner au chagrin et au désespoir de nepatt voir comprendre le flux et le reflux, lui qui sentait son esprit borné sur tant d’autres choses,, qu’il ignorait sana en avoir d’inquiétude (125) ?

Au reste, on attribue souvent à Justin Martyr et à Grégoire de Nazianze ce qu’ils n’ont point dit touchant la mort d’Aristote ; ils n’ont point dit qu’il se précipita dans l’Euripe. Justin dit seulement que la honte de n’avoir pu découvrir la cause du

(124) Arizotelhz thz jusewz grammateuz hn. Ton kalamon apobrecan eiz noun. Aristtoteles fuit Naturae fcriba calamum imbuens mente. Suïdas. Voiez ci-dessus la Remarque (H), à la fin.

(125) Rapin, Comp. ds Platon et d’Aristote, pag. 310.