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où elle estait fort duicte, lecture de bons livres latins et vulgaires, italiens et espagnols, dont son cabinet éstoit copieusement garni.

Voilà des mots qui expliquent aussi bien le scandale des uns que l’enthousiasme des autres. Rappelons-nous, pour comprendre cet enthousiasme, que Lyon était au seizième siècle presque une ville italienne, une autre Venise ; en tout cas un grand centre du commerce international — celeberrimum totius Europæ emporium — renommé pour le bien-être et le grand luxe de ses habitants. Les courtisanes italiennes n’y manquaient point, nous connaissons les noms d’une Malatesta et d’une Susanna laquelle se vantait d’avoir eu les faveurs du dauphin. Les courtisanes lyonnaises avaient peut-être subi l’influence de ces Italiennes bien que celles-ci ne fussent pas des représentantes célèbres de l’aristocratique cortegiana onesta[1], comme Tullia d’Arragona auteur de sonnets très platoniques ; ou comme l’Imperia chantée même par le pieux évêque de Carpentras, Sadolet ; ou enfin comme Veronica Franco connue aussi pour des poésies charmantes, pour ne nommer que trois d’entre ces célébrités de la Renaissance italienne dont les palais ressemblaient à des cours princières, et que des prélats et des rois ne manquaient guère de visiter en passant par Rome ou Venise. Types renouvelés de la sympathique hétaïre grecque, ces femmes dont la virginité du cœur pouvait résister à des épreuves professionnelles où le cœur n’entre pour rien (Maulde de Clavière), s’illustraient plutôt par leur esprit et par le charme de leur conversation que par la beauté de leur corps et leurs artifices de femme galante. Beaucoup d’entre elles étaient très adroites à tourner des sonnets et des ballades, et leurs vers ne sont point des plus mauvais du siècle. Leur instruction était souvent fort étendue ; les langues et littératures antiques ne leur restaient point étrangères. Elles n’étaient pas toujours de basse origine, quelquefois même elles étaient mariées, et leurs maris n’étaient pas les premiers venus ; celui de Veronica Franco, par exemple, était médecin et littérateur.

Il va sans dire qu’on connaissait à Lyon, au moins de nom, ces courtisanes italiennes qui s’efforçaient d’acquérir toutes les qualités et tous les arts qui pouvaient charmer les hommes de la Renaissance. Les bourgeoises françaises étaient restées bonnes ménagères et dévotes chrétiennes ; n’ayant point changé depuis le moyen-âge, à l’exception de quelques rares bas-bleus, elles ne pouvaient guère représenter l’idéal de la femme pour des

  1. Voici quelques remarques bibliographiques sur cette question intéressante : Graf. Veronica Franco, una cortigiana fra mille. (Attraverso il Cinquecento, Torino 1888). — Maulde de Clavière. Les femmes de la Renaissance. Paris 1898. p. 483-493 — Ferrari. Lettere di cortigiane del secolo XVI. Firenze 1884.