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En 1559 — Louise Labé vivait encore — un imprimeur lyonnais, Jean d’Ogerolles, publia un Recueil des plus belles chansons de ce temps[1] où il avait inséré la Chanson nouvelle de la belle Cordière. Celle-ci y est désignée comme une courtisane de profession qui reçoit ses amants — un Florentin, un avocat, un procureur, un meunier — dans l’unique but d’avoir de la pécune. N’y avait-il pas de tribunaux pour protéger contre un tel affront une femme honnête, telle que Jules Favre et d’autres critiques nous peignent Louise Labé ? Et ses nombreux admirateurs, n’osaient-ils pas rompre une lance pour la réputation de leur amie, attaquée publiquement par un calomniateur ? Ou bien était-ce une chanson populaire, cette vox populi qu’on ne combat pas si facilement puisqu’elle a toujours un peu raison ? Si personne n’a défendu Louise à cette occasion, cela n’a pas été sans cause.

Rappelons encore l’Ode à Aimon Perrin[2] qu’Olivier de Magny a publiée la même année 1559, et qui ne parait pas avoir été écrite dans un jour de dépit (comme le dit Jules Favre), mais dans une heure d’humeur excellente. Comment voir dans cette poésie la vengeance d’un amant éconduit ? Elle ne contient que des compliments pour la beauté de la belle Cordière, et ses qualités intellectuelles et artistiques, tout en admettant qu’elle fut courtisane. Les nombreux sarcasmes ne s’adressent qu’au bon Ennemond Perrin, lequel semble en effet avoir joué un rôle qu’on n’a jugé héroïque dans aucune période de l’histoire.

Autre témoignage assez intéressant : Pierre de Saint-Julien révoque en doute l’authenticité du Débat de Folie et d’Amour[3] ; ne pouvant croire que cet ouvrage ait été composé par une simple courtisane, il suppose une collaboration de Maurice Scève.

De tous les hommes du seizième siècle qui se sont occupés de la belle Cordière, le plus impartial est sans doute Antoine du Verdier. Il mérite notre entière confiance ; il raconte le bon et le mauvais sans louer et sans blâmer, sans rhétorique et sans moralisation. Comme dans toutes ses notices biographiques, il montre la meilleure volonté de ne rapporter que la vérité[4]. Il place Louise Labé sous la fiche Courtisane lyonnaise et continue : autrement nommée la belle Cordière, pic quoit fort bien un cheval, à raison de quoi les gentilshommes qui avaient accès à elle l’appeloient le capitaine Loys ; femme au demeurant de bon et gaillard esprit et de médiocre beauté, recevoit gracieusement dans sa maison entretiens de devis et discours, musique tant à la voix qu’aux instruments

  1. cf. pour les sources de ce chapitre : Gonon. Documents hist, sur L. Labé Lyon 1844.
  2. Olivier du Magny. Odes. A II. p. 222-226. cf. /. Favre op. cit. p. las.
  3. Gemelles et Pareilles. Lyon 1584.
  4. Bibliothèque française. Lyon 1581.