Page:Baur - Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise, 1906.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 83 —

Les relations entre Lyon et Genève étaient constantes à cette époque, particulièrement entre les libraires et imprimeurs des deux villes, également enclins à la Réforme. Calvin passa plusieurs fois par Lyon, il en recevait toujours des nouvelles, et connut sans doute la renommée de la belle Cordière. Dans un pamphlet de 1560 contre Gabriel de Saconay, prêtre lyonnais, il reproche à celui-ci une vie immorale et peint sa maison comme un lieu de débauche. Il l’accuse d’avoir introduit à ces banquets des femmes en habits d’hommes. Hunc ludum quam sæpe tibi præbuit plebeia meretrix quam partim a propria venustate, partim ab opificio mariti Bellam Corderiam vocabant. Connaissant l’intempérance des invectives du seizième siècle, nous n’attribuerons pas trop de valeur à ce passage. Pourtant il faut convenir que Calvin avait l’intention de blesser le seul Gabriel de Saconay, et non Louise Labé ; il n’arriva à son but qu’en le mettant en rapports intimes avec une femme dont la dépravation n’était un secret pour personne[1].

Quelques mois avant la publication des Œuvres de Louise Labé parut un livre qui était destiné uniquement à chanter la gloire des femmes. C’est Le Fort inexpugnable de l’Honneur du Sexe Féminin par François Billon (Lyon 1555). L’auteur y parle des louables qualités de Louise Labé qui des cieux sont procédées, de ses grâces et gentilles perfections, mais aussi de ses dispositions mauvaises, qui ont été développées par les hommes ; il l’appelle lubrique et autrement vicieuse et blâme ses sâfres déduytz. Il nous atteste qu’elle avait partout la réputation de mœurs plus que légères, et qu’on avait l’habitude de la comparer à Cléopâtre[2] pour sa perversité et lubricité.


    Je n’avais vu encore seize hivers
    Lorsque j’entray en ces ennuis divers ;
    Et jà voici le treizième esté
    Que mon cœur fust par Amour arresté.
    Mais on a oublié que les dates de la composition et de la publication de cette élégie ne sont point identiques. Le privilège d’impression de l’édition originale dit : Reçu avons l’humble supplication de… Louise Labé, Lyonnoise contenant qu’elle aurait dès longtemps composé quelque dialogue de Folie et Amour, ensemble plusieurs sonnets, odes et épîtres…

  1. Gratulatio ad venerabilem presbyterum Dominum Gabrielem de Saconay Calvin, Œuvres. Amsterdam 1667. tome VIII. p. 331—330. — Le pamphlet de Calvin a été traduit par Th. de Bèze en 1565 : Recueil des opuscules de Jean Calvin, les uns revus et corrigez, less autres translatez nouvellement de latin en français. Genève, Baptiste Pinereul 1566. — Voici le passage en question : une paillarde assez renommée, à sçavoir la belle Cordière…
  2. Jules Favre (op. cil. p. 113) dit que Billon n’a pas l’air de croire à ces méchants bruits ; mais il ne dit pas ce qui l’autorise à cette supposition. En parlant des hommes qui sont auteurs de tous maux en toutes créatures, Billon ne parle pas de leur médisance mais de leur manie de séduire les femmes, et ces maux sont bien les vices de la belle Cordière et non les bruits qui en circulent et qu’il n’essaie pas même de contredire. Pour excuser cette femme célèbre, il dit seulement que ses bonnes qualités compensaient les mauvaises. Du reste, en la comparant à un homme, il ne veut guère lui faire un compliment, après tout le mal qu’il vient de dire du sexe masculin.