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Parcourons d’abord les Ecriz de divers poètes à la louenge de Louize Labé qui ont été imprimés avec ses Œuvres. D’après la réédition que j’ai en mains[1], les poésies de la célèbre Lyonnaise (3 élégies et 24 sonnets, — je ne compte pas le Débat de Folie et d’Amour) comprennent vingt-huit pages, les vers de ses admirateurs (25 pièces) cinquante pages. Cette disproportion me semble témoigner d’un certain snobisme[2]. Seuls les pauvres poètes forcés de gagner leur pain par des vers se permettaient une telle faiblesse ; Clément Marot, Maurice Scève, Antoine Héroët, les poètes de la Pléiade, n’usaient pas d’une telle réclame.

Le contenu de ces poésies parvient encore moins à nous persuader de „l’honnêteté“ de la belle Cordière. Elle permettait à ses admirateurs de chanter en latin et français, dans son propre livre, de Aloysæ Labœœ osculis, (à Louise Labé sur son portrait), et de décrire certains détails de sa beauté qu’on ne dévoilait pas même dans ces temps pourtant si peu prudes[3]. Quelques-uns de ces poètes adressaient bien aussi des hommages à la chasteté de Louise, à l’instar de Paradin ; mais qu’est-ce que cela prouve ? Ce sont des compliments en style pétrarquisant, ce qui les rend plus que suspects.

Des documents plus impartiaux nous renseignent sur les mœurs de la belle Cordière. Les registres du Consistoire de Genève[4] contiennent sous la date du 14 juillet 1542 la notice suivante. Estienne Robinet, libraire, dépose devant le Consistoire dans l’affaire de Jean Ivart, chirurgien qui plaidait en divorce par ce que sa femme, amie de Loyse Labé de Lyon, dite la belle Cordière, avait été corrompue par ladite Loyse, au point qu’elle l’a abandonné et a voulu l’empoisonner tant en un œuf que dans la soupe. Du présent, dit-il, est à chacun notoire qu’elle se gouverne fort mal et ordinairement fréquente sa cousine, la belle Cordière, et tient fort mauvais train. — Voilà un acte officiel très impartial, d’une époque où Pernette vivait encore, et qui nous désigne Louise Labé comme une femme de mauvaise conduite[5].

  1. Lyon, Durand et Perrin 1824.
  2. Elle (L. Labé) monte trop à cheval et s’en vante trop, elle a des airs bravaches et faussement langoureux, elle sent la décadence. (Maulde la Clavière, Les Femmes de la Renaissance).
  3. Gabriel de Minut nous donne aussi dans son Livre de la Beauté (Lyon 1587, dédié à Catherine de Médicis) une description très détaillée et „minutieuse“ des beautés de Louise Labé.
  4. Cités dans Gaullieur, E. H. Etudes sur la typographie genevoise. Genève 1885.
  5. Si la date de naissance 1526 qu’on donne d’habitude (par ex. Jules Favre, Laur etc.) à Louise Labé était juste, elle aurait eu seulement seize ans à cette époque. Or, cette date est fausse. On l’a conjecturée sur la foi de la troisième élégie de Louise, où elle dit :