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en pouvait faire foy : et après avoit ja bien avant passé les rudimentz de la langue Latine, aspirant à la Grecque[1] (si la lampe de sa vie eust peu veiller jusques au soir de son eage) quand les Cieulx nous enviantz tel heur la nous ravirent. Voilà ce que du Moulin appelle les vertus à l’aspiration desquelles il exhorte les dames de Lyon. Pernette n’avait rien négligé pour participer de ce grand et immortel los que les Dames d’Italie se sont aujourd’hui acquis et si l’on entend par vertu la virtù des Italiens de la Renaissance, la maîtresse de Scève était vraiment l’object de plus haulte vertu.

Malheureusement les autres documents qui nous renseignent sur la vie de Pernette du Guillet, sont en très petit nombre. Je n’en connais que deux, et ces deux seuls témoignages se contredisent de la manière la plus absolue-

Guillaume Paradin, dans son histoire de Lyon[2], consacre un chapitre tout entier à deux Dames Lyonnaises, en ce temps excellantes en sçavoir et Poésie ; soubz le Roy Frauçoys Ier et Henri IIme. La plus grande partie de ce chapitre nous chante en termes exaltés les louanges de Louise Labé dont il admire la face plus angélique que humaine, et l’esprit tant chaste, tant vertueux, tant poétique, tant rare en sçavoir qu’il semblait qu’il eust été créé de Dieu pour estre admiré comme un grand prodige entre les humains. Après un résumé du Dialogue d’Amour et Folie, il ajoute : Et ne s’est ceste Nymphe seulement fait congnoistre par ses écritz, ainçois par sa grande chasteté. Voici les dernières lignes du chapitre relatives à la maîtresse de Scève :

L’autre dame estait nommée Pernette du Guillet, toute spirituelle, gentille et treschaste, laquelle a vescu en grand renom de tout meslé sçavoir, et s’est illustrée par doctes et éminentes poésies, pleines d’excellence de toutes grâces. Elle trespassa de ce siècle en meilleure vie l’an de salut 1545. Les poètes français célébrèrent ses obsèques.

Voilà un témoignage que nous accepterions volontiers, s’il n’était contredit par un autre d’égale valeur[3]. En 1604, Claude de Rubys publie sa Véritable Histoire de Lyon. Dans une préface adressée aux consuls et échevins de la ville, il critique durement

  1. Dans une poésie de Pernette, Amour dit à une bourgeoise : calliméra (= καλἡ ἠμερα bonjour). Le maître qui lui donnait des leçons de grec prononçait cette langue à la manière des Grecs modernes, à juger d’après cette graphie. C’était probablement Maurice Scève qu’elle appelle souvent son jour, une fois Iméra = Ημερα. (cf. réimpression des Rymes de 1830).
  2. Lyon, Antoine Gryphe 1573, chap. XXIX, p. 355.
  3. Charléty (Bibliographie de l’Hist. de Lyon) appelle l’ouvrage de Paradin une compilation laborieuse, sans critique, et dit que Rubys qui prétend le rectifier, n’a guère plus de critique que lui. Pourtant les deux historiens ne sont pas sans valeur, quand il s’agit de choses qu’ils ont vues ou dont le souvenir était encore vivant chez leurs contemporains.