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ne s’occupaient pas encore des ouvrages de Platon même, ils ne dédaignaient pas d’imprimer des productions de la littérature italienne tout imprégnées de sa doctrine : à savoir ceux de Pétrarque, de Castiglione et de Léon Baptiste Alberti.

L’étincelle qui devait allumer dans la société mondaine et française de Lyon la nouvelle lumière : l’aspiration déterminée vers la philosophie de la Renaissance, partit de la cour de Marguerite. Un de ses familiers et pensionnaires, Antoine Héroët, le futur évêque de Digne, publia en 1543[1] chez un autre protégé de la reine — Etienne Dolet — un poème qui voulait expliquer aux lecteurs français la doctrine de l’amour telle que l’avaient comprise le disciple de Socrate et ses admirateurs italiens. C’est la Parfaicte Amye (poème en trois chants)[2] qui était accompagnée de la traduction de deux fragments de dialogues de Platon : l’Androgyne, extrait du Banquet, et l’Accroissement d’Amour, aultre invention extraite de Platon.

La parfaicte Amye valut à son auteur le litre à heureux illustrateur du haut sens de Platon (du Verdier). La femme idéale dont il nous trace le portrait est une élève très enthousiaste de Platon et des mystiques alexandrins, comme Bourciez l’a déjà remarqué[3]. Elle ne connaît point la jalousie, car son amour n’est point charnel ; le vrai amour terrestre ne peut être que la réapparition d’un amour de la préexistence, et sa forme la plus pure sera la reconnaissance d’une femme pour la vertu que son amant lui a enseignée dans le sens de l’école platonique ; à savoir l’instruction et le progrès intellectuel, esthétique et moral. „Sûre de conserver, en dépit de toutes les vicissitudes, le cœur de son ami, la parfaite amie dédaigne l’opinion des hommes et se promené à travers le monde, sereine et forte, tout entière au sentiment qui l’occupe et vivant d’une vie idéale, dont rien ne peut rompre la paix ni l’harmonie.“ (Lefranc.)

  1. Une première édition en avait paru en 1542, à Lyon chez Pierre de Tour, et à Troyes.
  2. Cf. une analyse de ce petit livre et une appréciation de son immense succès chez Abel Lefranc, Le tiers livre de Pantagruel et la querelle des femmes. Revue des Études Rabl. tome II, p. 91 ff.
  3. É. Bourciez. Les mœurs polies et la littérature de cour sous Henri II, Paris 1885. p. 132. — Un passage d’une ode, adressée par du Bellay à Héroët nous prouve que celui-ci était regardé comme Lyonnais et exerçant une grande influence sur cette ville.
    Ta muse, des Graces amie,
    La mienne à te louer semond,
    Qui sur le haut du double mont
    As érigé l’Académie.

    Cela veut dire que Héroët a introduit à Lyon les doctrines platoniciennes. En tout cas, du Bellay ne vise pas, avec ces mots, la prétendue Académie de Fourvière, ni une autre qui aurait disparu sans laisser de trace.