Page:Baur - Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise, 1906.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 64 —

teurs religieux ; on peut même dire qu’il régnait alors en France une liberté de pensée presque moderne : c’est exactement l’époque de la plus grande prospérité de la poésie humaniste à Lyon.

Tout cela allait changer avec les projets de médiation du pape Paul III qui appela François Ier et Charles-Quint à Nice, sous prétexte de faire cesser les guerres personnelles afin de pouvoir attaquer avec les forces réunies de tous les pays chrétiens les Turcs qui dévastaient alors une grande partie de l’Europe. Cette entrevue solennelle, grand triomphe d’une conspiration catholico-espagnole, eut lieu au mois de mai 1538[1] ; les participants y rivalisèrent de munificence et de générosité. Le résultat en fut une sorte de triple-alliance, entre le roi de France, l’empereur et le pape, alliance qui allait enlever toute initiative au père des lettres françaises. Les intrigues ourdies à la cour par Montmorency, les cardinaux de Lorraine et de Tournon, et la cruelle maladie qui le tourmentait, suffirent à épuiser la vitalité de François Ier ; sa gaîté, son amour des lettres s’éteignirent et — triste spectacle — la vieillesse du roi de la Renaissance consent à la réaction contre tout ce que sa jeunesse avait encouragé.

De nouveaux édits contre les hérétiques[2] en furent la première conséquence ; les persécutions redoublèrent. Les humanistes lyonnais eux aussi devaient bientôt sentir la pression que le nouvel état des choses exerçait sur tous les esprits. Un homme qui valait à lui seul toute une inquisition, le cardinal de Tournon[3], l’instigateur du massacre des Vaudois, était depuis le 22 octobre 1536 superintendant et lieutenant général en Lyonnais, Auvergne, Dauphiné et Pays de Piedmont. Il n’attendait que des circonstances

  1. L’Embouchement de nostre sainct père le pape, l’empereur et le roi faict à Nice… MDXXXVIII. Paris… Arnould et Charles les Angeliers. — Un dizain de la Délie (318) témoigne de la grande impression que cette entrevue fit sur les Français ; pour beaucoup d’entre eux elle paraît avoir été une déception.
    Jà tout hautain en moy ie me paonnois
    De ce qu’Amour l’avoit peu inciter :
    Mais seurement (à ce que ie congnois)
    Quand il me vint du bien féliciter.
    Et la promesse au long me reciter.
    Il me servit d’un tresfaulx truchement.
            Que diray donc de cet abouchement,
    Que Lygurie, et Provence et Venisse
    Ont veu (en vain) assembler richement
    Espaigne, France et Italie, à Nice ?
    Une lettre manuscrite du roi à P. Trivulce, datée de Nice du 18 juillet 1538 commande de fêter cette alliance à Lyon d’une façon très solennelle (copie dans Capefigue. op. cit. t. IV. p. 156).
  2. 10 déc. 1538 révocation des édits de grâce de Coucy et de Lyon.
    24 juin 1539 édit général contre les luthériens.
    1er  juin 1540 édit de Fontainebleau.
  3. Fleury. Histoire du cardinal de Tournon. Paris 1728.