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La plupart des Blasonneurs acceptèrent avec joie cette nouvelle occasion de faire briller leur esprit, leur humeur gauloise et leur talent de versificateurs ; le nombre des Contre-Blasons est presque aussi grand que celui des Blasons. Mais le concours lui-même n’eut pas lieu ; Marot qui ne se sentait plus en sûreté à Ferrare, quitta précipitamment cette cour hospitalière. Les Contre-Blasons furent néanmoins recueillis et publiés dans l’édition de 1550 des Blasons et Contreblasons du Corps féminin et dans les éditions suivantes[1].

Le nouveau genre ne correspondant pas à la haute conception que Maurice Scève s’était faite de la poésie, il ne prit point part à ce deuxième concours. Il avait jugé que les Contre-Blasons ne seraient qu’une baliverne et que ses vers sérieux s’y seraient prêtés très mal. Il n’était pas homme à faire de telles poésies, lui, de qui les Blasons étaient presque les seuls à chanter la beauté à un point de vue idéal[2].

À la même époque, Clément Marot eut à vider sa querelle avec Sagon[3]. Les coups tombaient drus et menus des deux côtés ; chacun des deux poètes cherchait à rabaisser non seulement son adversaire mais aussi les disciples de celui-ci. À travers la

    Je l’eusse painct plus laid cinquante foys,
    Si je l’eusse peu : tel qu’il est toutesfoys.
    Protester veulx, affin d’éviter noyse,
    Que ce n’est point un tetin de Françoise,
    Et que voulu n’ay la bride lascher
    A mes propos pour les dames fascher :
    Mais voulentiers, qui l’esprit exercite,
    Ores le blanc, ores le noir récite :
    Et est le painctre indigne de louange
    Qui ne sçait paindre aussi bien Diable qu’Ange.
    Après la course il faut tirer la barre :
    Après bémol, il faut chanter bécarre.
    Là donc, amys, celles qu’avez louées,
    Mieux qu’on ma dict sont de beauté douées,
    Parquoy n’entends que vous vous desdisiez
    De beaux blasons à elles desdiez :
    Ains, que chacun le rebours chanter vueille
    Pour leur donner encores plus grand fueille :
    Car vous sçavez qu’à gorge blanche et grasse
    Le cordon noir n’a point maulvaise grace.

    Je cite Marot d’après l’édition de Guillaume le Bret, Paris 1547.

  1. cf. les éditions des Blasons dans Brunet, Manuel du libraire.
  2. Scève n’était pas le seul poète qui ne trouvât point les Contre-Blasons de son goût. Son ami Matthieu de Vauzelles comprit aussi que ce serait passer les bornes, et, au lieu d’écrire un „Contre-Blason des Cheveux“ il composa un Blason de la Mort. Gilles Corrozet publia même un Blason contre les Blasonneurs. La critique que le poète latin Visagier (Vulteius) leur adressa est plus bénigne :
    Ad poetas Gallos qui muliebria tnembra laudarunt
    Faemina quid vestra depingitur arte poetae ?
    Depingi vivo nullo colore potest.
  3. Voizard. De disputatione inter Marotum et Sagontum. Thèse. Paris 1885. Bonnefon. Du différend entre Marot et Sagon. Revue d’hist. litt. I. p. 104.