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Elle est le gage le plus certain d’amytié (le mot est synonyme d’amour comme dans toutes les poésies du cercle lyonnais)

Larme qui peut yre, courroux, desdain
Pacifier et mitiger soubdain,
Et amollir le cœur des inhumains…
O liqueur sainte, ô petite larmette
Digne qu’aux cieux, au plus haut ou te mette,
Qui l’homme à Dieu peux reconcilier
Quand il se veult par toy humilier…

En finissant, Scève nous inonde d’un de ces torrents de larmes amoureuses qui reparaîtront plus tard au milieu des pages les plus ardues de la Délie.

O larme espaisse, ô compagne secrette
Qui sais assez, comme Amour me traicte.
Lors de mes yeulx, non pas à grande pleins seaux,
Mais bien descends à gros bruyantz ruisseaulx,
Et tellement excite ton pouvoir
Que par pitié tu puisses émouvoir
Celle qui n’a commisération
De ma tant grande et longue passion.

Nous voilà bien arrivés sur la terre du pétrarquisme. L’amour d’un vrai poète ne peut être que malheureux, la dame sera toujours chaste et cruelle ; impossible d’émouvoir la dureté de son cœur, les vers du poète ne la toucheront jamais et ses soupirs moins encore. Ce sont là les idées que Scève exprime aussi dans le Blason du Souspir, où il chante ses tourments qui tous autres maux excèdent.

Où allez-vous, souspirs, quand vous sortez
Si vainement que riens ne rapportez
Fors un désir de toujours souspirer.
Dont le poulmon ne peult plus respirer ?

Scève ne nous fait point grâce du lieu commun pédantesque qui conçoit les soupirs comme la fumée du feu amoureux.

Alors qu’on voit fumer la cheminée
L’on peut juger par signes évidentz
Qu’il y a feu qui couve là-dedans ;
Et quand souvent je sanglote et souspire
Que dans mon corps le feu croit et empire.
Souspirs qui sont le souef et doux vent
Qui va la flambe en mon cœur émouvant…

Même le Blason de la Gorge n’incite jamais le poète à des indiscrétions. Scève nous y parle seulement de sa loyauté, de