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un seul volume. Le fait de voir accouplées paisiblement une œuvre pleine de doctrines platoniques sur l’amour, la beauté et la vertu, et des poésies qui ne sont pour la plupart que des obscénités rimées sans grâce et sans esprit, dépourvues de cet humour qui nous fait goûter celles de Rabelais, est très caractéristique pour la société lyonnaise de cette époque, l’Hécatomphile et les Blasons étaient destinés au même public — je ne crois pas me tromper, quand je dis surtout à des femmes — ; et ce public goûtait à la fois ces deux genres de productions littéraires qui semblent s’exclure.

Les Blasons de Maurice Scève sont presque les seuls du recueil qui ne contrastent point avec l’Hécatomphile. Ce ne sont point des chefs-d’œuvre ; mais ce ne sont pas non plus des poésies indécentes. Pour donner un modèle de ce genre poétique, voici le plus court des Blasons de Scève, le Blason du Front :

Front large et haut, front patent et ouvert,
Plat et uni de beaux cheveux couvert,
Front qu’es le cler et serein firmament.
Du petit monde, et par son mouvement
Est gouverné le demeurant du corps.
Et à son vueil sont les membres concors ;
Lequel je voy estre troublé par nues,
Multipliant ses rides très menues.
Et du cousté qui se présente à l’œil
Semble que là se liève le soleil.
Front eslevé sur ceste sphère ronde
Où tout engin et tout sçavoir abonde.
Front révéré, front qui le corps surmonte
Comme celuy qui ne craint riens fors honte.
Front apparent, affin qu’on peust mieux lire
Les loix qu’Amour voulut en lui escrire,
O Front, tu es une table d’attente
Où ma vie est et ma mort très patente.

N’y a-t-il pas déjà dans cette brève pièce une grande partie des qualités et des défauts de la poésie de Scève, que nous constaterons plus tard dans la Délie ? Voilà déjà cette manière de ne pas s’attarder à la description d’objets matériels, cette préoccupation psychologique du vueil, de l’engin et du sçavoir, cette noblesse des sentiments qui ne craint riens fors honte, cette influence que les effets de lumière — le ciel troublé de nues et le lever du soleil — exercent sur l’âme du poète, preuve d’un sentiment tout moderne de la nature ; voilà aussi les réflexions sur les loix d’Amour qui feront encore le sujet de beaucoup de vers de notre auteur. Il n’y a rien qui nous blesse dans ce blason — chose