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blason. Mais il y eut aussi des poésies d’un caractère plus sérieux, plus abstrait, sentimental même. La plupart de celles-ci semblent sortir du milieu lyonnais, où l’italianisme avait eu pour conséquence plus de civilité et moins de gauloiserie.

À côté de Matthieu de Vauzelles qui chanta les cheveux, Mellin de Saint-Gelais, un peu plus sentimental et moins charnel déjà, composa le blason des cheveux coupés et de l’œil[1], chanté aussi par Antoine de Héroët. Eustorg de Beaulieu célébra le nez, la joue, la langue, les dents et la voix : c’était justement dans la période de son séjour à Lyon, où il connut toutes les libertés du cercle de Madame du Perron ; sur le tard il en eut le repentir au point de devenir ministre protestant. Michel d’Amboise chanta la dent, Victor Brodeau la bouche, et ainsi de suite ; il serait trop long de nommer tous ces versificateurs et leurs productions. Maurice Scève, qui se montra le plus abstrait et le plus décent de tous ces poètes déjà dans ses premiers vers, fit les Blasons du Front, du Sourcil, de la Larme, du Soupir et de la Gorge.

On résolut d’envoyer tous ces vers à Ferrare pour les faire juger soit par Clément Marot, soit par les dames françaises qui avaient accompagné Renée de France en Italie. Et, en effet, il est assez intéressant de le constater : ces dames qui se plaisaient surtout à des disputes théologiques, qui aimaient la compagnie du tant sévère Calvin, ces dames qui avaient appris à connaître le platonisme et l’art italien, se constituèrent en tribunal littéraire pour juger des poésies grivoises, ordurières même. Renée de France présidait elle-même le concours et, comme on pouvait s’y attendre de la part d’une princesse si vertueuse, confite en doctrine platonique et prédisposée à un art sérieux, elle accorda le laurier poétique à celui qui avait chanté le Blason du Sourcil, à Maurice Scève[2]. Marot approuva le jugement de la duchesse bien qu’il ne connût pas le jeune auteur même de nom.

Les blasonneurs réunirent leurs productions et les publièrent l’année suivante à Lyon, chez François Juste, sous le titre de Fleur de Poésie françoise, à la suite d’une traduction française de l’Hécatomphile de Léon Battista Alberti, avec laquelle elles forment

  1. Marot, dans l’Épître à ceux qui après l’épigramme du beau tetin en feirent d’autres, se plaint de ce que Saint-Gelais ne prit point part au concours des Blasons. Comme je n’ai à ma disposition que l’édition de Méon (1807), il m’est impossible de résoudre cette contradiction.
  2. cf. le passage suivant de la même épitre de Marot :
    Mais du Sourcil la beauté bien chantée
    A tellement nostre cour contentée,
    Qu’à son auteur nostre Princesse donne
    Pour ceste foys de laurier la couronne
    Et m’y consens, qui point ne le congnois
    Fors qu’on m’a dit que c’est un Lyonnois.