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qui ne cerche sinon joyeuseté. Voilà pourquoi elle ne peut faire bon accueil à Grimalte ; elle doute plus que jamais de la fidélité des hommes et va jusqu’à soupçonner Pamphile d’être retourné dans sa maison paternelle après le départ de Grimalte, pour y faire bonne chère. Après avoir reçu cette lettre où Gradisse se montre plus froide et plus cruelle que jamais, Grimalte se décide à partager la vie austère de Pamphile. Il le cherche jusqu’aux extrémités du pays de l’Asie, où il reçoit enfin de ses nouvelles ; il organise une chasse avec chiens, filets et autres pièges à l’aide desquels il capture enfin le malheureux solitaire. Pamphile ressemble à une bête sauvage plutôt qu’à un homme, tant cette vie l’a changé. Aussi reste-t-il insensible tant aux morsures des chiens qu’aux raisonnements de Grimalte. Mais quand celui-ci se dépouille de ses vêtements pour partager la vie de Pamphile, l’amant de Flamete rompt son silence. Désormais les deux anachorètes de l’amour passent leur vie à se lamenter et à pleurer. Trois nuits de la semaine ils ont la vision de Flamete, que des esprits infernaux tourmentent pour ses péchés d’une manière vraiment diabolique. Le roman se termine par une lettre pleine d’amertume de Grimalte à Gradisse, dans laquelle il l’assure de son amour inaltérable et de son obéissance d’esclave.

Cette action ne tient pas la plus grande place dans la déplourable Fin de Flamete. Chaque chapitre est un discours soigneusement élaboré selon les recettes de la rhétorique. Tous les personnages de ce petit roman ont la manie de prouver, par la logique, des choses où le cœur seul est arbitre, et les mots „luy démonstre par vives raisons“ se répètent d’innombrables fois Toutes ces vives raisons ou grandes raisons forment ensemble une espèce de traité psychologique de l’amour et de l’adultère qui ne manque pas de subtilité, mais dans lequel nous cherchons en vain le nom de Platon, et l’influence directe de sa philosophie ; il n’y est pas question d’amour spirituel. C’est plutôt l’amour des Amadis et de tous les autres héros des romans de chevalerie, l’amour traditionnel des troubadours et des trouvères. Les remèdes contre l’amour dont il est souvent question, nous rappellent Ovide, le grand docteur-ès-sciences amoureuses des poètes du moyen-âge.

Ce roman ne nous donne pas que les idées de Juan de Flores. Dans l’Epistre proëmiale, Scève se rallie à la conception chevaleresque selon laquelle l’amour est un art qu’on peut et qu’on doit apprendre. Cette épître contient aussi des témoignages de la sensibilité du poète. Il parle de la sienne expérimentée tourmente d’amours et du périlleux guay ou les meilleurs ans de sa vie ont