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ils se rendent à Florence où Pamphile habite en effet au sein de sa famille. Le lecteur qui s’est réjoui de l’espoir d’un revoir passionné, est cruellement trompé ; Flamete ne court pas voir son amant ; elle va loger dans un couvent près de la ville et y exerce son style épistolaire dans une longue missive à Pamphile, lequel s’efforce dans une lettre non moins longue et non moins guindée de luy osier la trop grand amour qu’elle lui porte ; un confesseur n’arriverait pas à écrire une épître plus „morale“ et plus ennuyeuse. Flamete en cuide mourir de dueil, et, puisqu’il ne lui reste plus d’autre moyen, elle envoie Grimalte au palais de Pamphile pour l’exhorter à revenir à ses amours. Celui-ci l’accueille d’une façon charmante et lui parle avec beaucoup de sagesse. Après une longue conversation, Pamphile se décide enfin à aller voir son ancienne maîtresse.

Enfin les deux amants se revoient, mais Pamphile reste froid et sage malgré l’accueil chaleureux de Flamete. À toutes ses raisons de cœur, il oppose des raisons de morale égoïste et même de convenance bourgeoise, car il n’est délibéré de la secourir. Après une demi-douzaine de chapitres de ce dialogue pénible, Flamete épanche son cœur en maudissant sa vie qui lui semble la plus malheureuse que jamais femme ait supportée. Les consolations de Grimalte n’ont point d’effet : la longue et tresennuyeuse vie l’avoit tant gastée et deffaicte que avecques le moindre mal qui luy en sceusi venir, l’on eust peu congnoistre sa fin extrême survenir ; tant que le mal luy croissoit de si grand vigueur que incontinent je la vis morte sans nul remede. Voilà tout ce que nous apprenons de sa mort.

Grimalte fut tellement attristé par la mort de Flamete qu’il en perdit l’usage de la voix et de la vue, et qu’il resta longtemps avant de commencer sa triste complainte à voix aigre, piteuse, tremblante et larmoyante ; et non content des marques habituelles de la douleur, il se deciroit des ongles grosses playes en sa chair, tant que le sang couroit jusques à terre. Après que la dame eut été mise dans un tombeau paré de riches ornements allégoriques, Grimalte veut se battre en champ clos avec Pamphile pour l’amour de Flamete. Mais celui-ci est si touché par la lettre de défi et il est si tourmenté par les remords qu’il se résout à se retirer dans les déserts, en digne aïeul de Don Quichotte, pour y vivre nu avec les bêtes sauvages.

Grimalte, arrivé en Espagne, près de la ville où habite Gradisse, n’ose pas se montrer à sa dame, à laquelle il demande, par une lettre, de décider de son sort. Gradisse est tellement émue par la mort de Flamete qu’elle renonce à la voulenté d’amours