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el stil, secul, ne me semblent pas être toscanes. Tout cela me confirme dans mon opinion que son auteur était quelque ami romain de Pétrarque ; un faux d’une telle finesse aurait été difficile même pour un humaniste très au courant des études de la première littérature italienne ; et de tels hommes étaient très-rares au seizième siècle. La mystification, bien que probable, est donc loin d’être prouvée, et ce qui est l’essentiel, Scève ne peut pas en être soupçonné.

Ce qu’il y a d’important pour la vie de Maurice Scève dans cette affaire, c’est un accroissement extraordinaire de son sentiment personnel ; il se replie dans sa nouvelle gloire, et l’espoir d’acquérir vie immortelle lui devient une certitude. Il se sent prédestiné à devenir le Pétrarque français, et dès ce moment tous ses efforts tendront à mériter ce titre.

Je ne sais pas si Maurice Scève a été promu au grade de docteur ; il ne se glorifie jamais de ce titre et ses contemporains ne le lui donnent jamais. Pourtant ce n’est pas invraisemblable. Son père qui avait exercé les fonctions de juge-mage, avait été docteur-ès droits ; le fils qui remplit plus tard la même charge[1] dut faire son possible pour revêtir le même grade. Peut-être a-t-il été clerc ; le célibat qu’il a observé pendant toute sa vie, nous autorise à admettre qu’il a reçu les ordres qui l’y soumettaient, sans qu’il fût prêtre cependant.

La date du retour de Scève d’Avignon à Lyon m’est restée inconnue ; il se peut qu’il y fût déjà au mois d’août 1534, lors de l’arrivée d’Etienne Dolet. En tout cas, il y était en 1535 pour publier son premier livre : La déplourable fin de Flamete[2]. C’est un petit roman sentimental, qui n’est pas de l’invention de Maurice Scève, mais la traduction d’un livre espagnol de Juan de Flores[3], nouvelliste très en vogue vers la fin du quinzième siècle

  1. Communication orale de M. J. Buche, professeur à Lyon. Je ne connais pas les documents sur lesquels il base son assertion, mais comme il prépare depuis plusieurs années un livre sur l’Italianisme à Lyon, il est un des meilleurs connaisseurs de cette époque de l’histoire lyonnaise.
  2. La déplourable fin de Flamete, Élégante invention de Jehan de Flores espaignol, traduicte en Langue Françoise. — Soufirir se ouffrir (devise de Scève), — On les vend à Lyon chez Françoys Juste, devant nostre Dame de Confort. 1535. — in-16, goth. lxxj feuillets. — Édition très négligée pour le papier et l’impression, beaucoup d’initiales renversées, de nombreuses fautes. La première édition de Gargantua parut la même année chez le même imprimeur ; les caractères sont les mêmes.
  3. Le Sévillan Juan de Flores était le plus populaire en France et en Italie des auteurs espagnols qui dissertaient sur l’amour avec la subtilité d’un docteur en théologie. Son Tratato á su amiga de los amores de Grisel y Mirabella fut publié la première fois en France en 1527 sous le titre de Jugement d’Amour. En 1546, Gilles Corrozet en imprima une autre traduction française avec en face