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coup (aventuriers italiens en France — littéraires et autres — qui n’auraient point reculé devant une telle manière de faire de l’argent. Et c’étaient justement les Italiens de la cour archiépiscopale d’Avignon qui étaient les plus intéressés à la possession du célèbre tombeau, du nouveau sanctuaire des pétrarquistes. En faisant faire la découverte par un savant de passage, on écartait le soupçon de l’avoir arrangée par intérêt.

Je ne crois d’ailleurs pas que les arguments de Francesco d’Ovidio nous obligent à croire à une mystification. Y a-t-il un seul fait à alléguer contre l’hypothèse, émise déjà par de Sade, qu’un ami de Pétrarque, mettons Socrate[1], ait composé le sonnet et l’ait mis dans le cercueil de Laure[2] ?

Cela ne devrait point nous étonner. Les amis de Pétrarque avaient pris l’habitude de l’admirer comme le plus grand poète et le plus grand savant ; ils le divinisaient presque ; Pétrarque était entré tout vivant dans l’immortalité, et cela déjà avant la mort de Laure. Il va sans dire que ses amis étendaient leur culte sur la femme qui fut presque l’unique objet de sa poésie. Ils prirent donc soin de faire connaître ses restes à la postérité qu’ils supposaient avec raison aussi enthousiaste de Pétrarque qu’eux-mêmes, et aussi soucieuse de conserver de ses reliques. Ces amis étaient des ecclésiastiques de la cour papale ; rien de plus facile pour eux que de glisser une petite boîte dans un cercueil, surtout dans des temps de peste où les enterrements se faisaient avec beaucoup de précipitation. De cette façon ils croyaient suffire à leur devoir envers Pétrarque et la postérité.

S’il y avait eu falsification, on aurait affaire à des faussaires d’une habileté tout à fait extraordinaire, à des faussaires de profession beaucoup plus rares au seizième siècle qu’à l’époque actuelle. Le sonnet était très difficile à lire perchè le lettere che si ritrovavono sut pieghi, erano dall’ antiquità cancellate. On le conserva tel quel dans l’église des frères mineurs jusqu’à l’époque de la Révolution où il fut égaré. Beaucoup de curieux l’ont examiné et même des savants comme Suarez et de Sade qui avaient l’habitude des documents du moyen-âge ; aucun n’a conçu de soupçon.

L’orthographe et la syntaxe du sonnet trouvé me semblent être très archaïques, telle l’élision de la conjonction che dans le dernier vers devant la coda. Quelques formes comme il chiude,

  1. Louis de Campininia par exemple, qui, étant à cette époque à Avignon, lui fit part du décès de son amie.
  2. En admettant l’interprétation Maria Laudate Matrem Jesu, la médaille avec la femme en prière ne représentera qu’une amulette, dont la présence dans un tombeau n’a rien d’étonnant.