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de beaux projets du roi de la Renaissance ; mais les vers qu’il commit à cette occasion ont été transmis à la postérité[1].

La critique italienne est convenue de s’inscrire en faux contre la découverte du tombeau de Laure, et d’imputer tout le crime à Maurice Scève, Quelques-uns de ses arguments sont — sans être suffisants pour nous convaincre — assez accablants pour notre poète : c’est lui qui joue le rôle principal dans cette scène de la découverte qui a l’air d’avoir été arrangée ; c’est lui qui a fait venir, comme il semble, Buontempo et Manelli ; c’est lui qui interprète la légende de la médaille et qui déchiffre le sonnet ; enfin c’est à lui que Jean de Tournes et Guillaume de Roville attribuent tout l’honneur de la découverte. Les vers trouvés dans le tombeau sont d’ailleurs faits dans la manière amphigourique de Maurice Scève ; ils contiennent quelques formes stylistiques que nous retrouverons dans des poésies de lui[2].

Pourtant je ne peux pas admettre que cette prétendue falsification ait été commise par le poète le plus célèbre et le plus aristocratique de Lyon ; rien de ce que nous savons de sa vie et de son caractère ne nous permet de le croire capable d’une telle action ; ce serait une dissonance criante dans l’existence de cet homme doux et probe, même dans ses travaux littéraires (scrupule assez rare dans son siècle), de ce savant auquel on ne connaît point d’ennemis. S’il y a de la mystification dans cette découverte, je crois que Scève a été trompé plutôt que trompeur. Il était jeune et riche, il faisait ses recherches avec l’enthousiasme d’un néophyte ; il ne pouvait guère être chiche envers quiconque le mettait sur la bonne voie ; en somme, il n’était guère difficile de le tromper :

Las, celluy est facile à décevoir
Qui sur aultruy crédulement s’asseure

dira-t-il lui-même dans sa Délie[3] Il y avait à cette époque beau-

  1. En petit lieu compris vous pouvez veoir
    Ce qui comprend beaucoup par renommée,
    Plume, labeur, la langue et le savoir
    Furent vaincus par l’aymant de l’aymée.
    O gentile Ame, estant tant estimée
    Qui te pourra louer qu’en se taisant ?
    Car la parole est toujours reprimée,
    Quand le sujet surmonte le disant.
  2. surtout dans la première épitaphe de Pernette de Guillet. Comparez par ex. : le caste e felici ossa et l’heureuse cendre, ses os que beauté composa ; — quell’alma gentile e sola in terra et cette ame gentile en tout sçavoir et sur toute autre subtile. Ces arguments ne prouvent d’ailleurs rien, Scève n’est pas le seul poète du seizième siècle qui ait eu un style ampoulé, et, dans l’Épitaphe de Pernette, écrite dans une circonstance semblable, il peut avoir voulu imiter le sonnet trouvé.
  3. Délie, dizain 222.