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La Délie, bien qu’elle soit une œuvre toute personnelle, ne nous fait point connaître de détails sur la vie de son auteur. Elle nous dévoile seulement les émotions du poète, ses amours, ses haines, ses idées philosophiques et politiques, son commerce avec la nature ; mais la vie extérieure, les événements de ses jours n’y trouvent point d’écho. Aussi n’a-t-il point inséré dans ses vers sa correspondance poétique comme c’était l’usage de la plupart de ses contemporains.

Scève n’a pas eu de détracteurs. Il ne s’est jamais mêlé à des querelles littéraires ; le différend entre Marot et Sagon et les combats de la jeune Pléiade ne lui ont jamais arraché une parole, que nous sachions. Elles ne nous donnent par conséquent aucun renseignement sur la vie de notre poète.

Comment faut-il expliquer ce silence étrange de Scève sur lui-même ? L’aurait-il gardé par excès de modestie ? Ce n’est guère probable ; cette qualité décadente est bien rare au seizième siècle ; seuls des esprits inférieurs comme Philibert de Bugnyon, le plat imitateur de Scève, en ont été atteints. Un homme qui a une confiance si absolue dans sa gloire éternelle ne peut être soupçonné de nous cacher son nom par modestie.

J’incline plutôt à croire que c’est un certain orgueil aristocratique, mêlé à un certain amour du mystère, que nous constatons si souvent dans les ouvrages de Scève. Scève a trop de fierté, il aime trop à marcher la tête haute, trop plus hautain que n’est l’ambition[1] pour se faire le héraut de sa propre gloire. Il présume que ses œuvres parleront toutes seules à la postérité, qu’elles suffiront à bâtir le temple de son immortalité ; inutile d’y ajouter un mot. Et puis il y aura les amis, les adorateurs, les imitateurs qui ne manqueront pas de transmettre le nom du maître aux générations futures, et de leur raconter quelle fut la vie de l’auteur de la Délie et du Microcosme.

Scève ne s’est point trompé entièrement : ses amis ont chanté sa gloire, ils l’ont couronné de roses et de lauriers ; mais aucun n’a pris le soin de nous laisser quelques notices biographiques qui nous renseigneraient sur les circonstances de sa vie, et sur le développement de ses idées. Ils n’en connaissaient peut-être point de traits qu’ils aient jugés dignes d’être transmis à la postérité. Il y a encore un autre fait qui nous explique l’absence de documents concernant la vie de Scève. C’est le voile mystérieux qui nous cache les dernières années de son existence ; personne ne connaît ni l’heure, ni le lieu, ni les circonstances de sa mort[2].

  1. Délie, dizain 359.
  2. cf. le dernier chapitre de cette étude.