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chapitre deuxième

LA JEUNESSE DE MAURICE SCÈVE


Malgré sa renommée extraordinaire, malgré le grand nombre de poètes et de savants qui l’ont chanté, nous ne sommes que mal renseignés sur la vie de Maurice Scève ; il y a beaucoup de poètes d’importance moindre dont la vie nous est mieux connue, par des détails plus intéressants. Beaucoup de sources qui ont coulé abondamment pour la biographie d’autres hommes de la Renaissance, sont taries complètement pour qui s’efforce de dévoiler les secrets de la vie du poète qu’on appelle à juste titre le chef de l’école lyonnaise.

Différentes causes peuvent expliquer cette circonstance, en partie au moins. Voici la principale : Quiconque a étudié les poètes français du seizième siècle, sait combien ils aiment à parler d’eux-mêmes ; c’est là presque toujours la source la plus abondante pour la connaissance de leur vie. Quant à Scève, il est inutile de chercher chez lui quelque chose de semblable, il représente une exception rare entre les poètes de la Renaissance française : évitant son propre nom comme un auteur classique, il n’a jamais révélé un seul fait positif de son existence.

Ce n’est pas que l’ardent désir d’immortalité qui hantait tous ses contemporains, lui ait manqué ; bien au contraire, aucun ne souhaite tant que lui d’être hors des enfers de l’éternel oubli[1], aucun n’a une si vive espérance de s’entailler à perpétuité[2]. Néanmoins tous /ses ouvrages, sans aucune exception, ont été publiés sans son nom, bien que marqués de façon que personne ne saurait les attribuer à quelqu’un d’autre. Quelques-uns montrent ses initiales — m. sc. l. —, d’autres sa devise, soit celle de sa jeunesse — sovffrir non sovffrir —, soit celle de son âge mûr — non si non la — ; la Délie est même ornée de son portrait.

L’arrangement symétrique, j’oserais dire architectural de ses livres ne lui a guère permis d’y mettre une préface ou une postface. Point de dédicace, ni en prose ni en vers ; pour toute introduction, il a mis un huitain À sa Délie, ou bien un sonnet Au lecteur. Scève n’a ajouté à aucun de ses ouvrages un „livre des amis“[3].

  1. Délie dizain 445.
  2. Délie dizain 28.
  3. Presque chaque poète du seizième siècle faisait suivre ses vers d’un recueil de compliments poétiques d’hommes plus ou moins célèbres, recueil destiné à donner plus d’éclat à l’ouvrage dont il est souvent la partie la plus intéressante. Scève lui-même n’a pas dédaigné de donner cette aumône poétique à plus d’un jeune talent qu’il voulait encourager, à plus d’un poète dont les vers avaient besoin d’être soutenus par un nom bien-sonnant. Mais lui, le chef de l’école lyonnaise, n’acceptait rien de pareil, il n’avait pas besoin de se parer des plumes d’autrui.