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Gelais[1] qui y accompagne la cour dans ses nombreux séjours fournissent les modèles de la littérature en langue vulgaire. C’est une espèce de littérature romantique du seizième siècle ; elle réintroduit dans la société française qui reçoit déjà les semences de la Renaissance, l’idéal de la galanterie chevaleresque du moyen-âge. Mais comme au moyen-âge, la poésie est dégradée à n’être qu’un jeu de société auquel quiconque se pique de savoir-vivre ne saurait se soustraire ; c’est un simple jeu de demandes et de réponses, un échange de compliments, de bons mots et de calembours. Quiconque veut étaler son savoir, son esprit et son bon goût, fera des vers, les femmes les toutes premières, et les poètes de métier qui voudront faire acte de galanterie envers une femme, ne manqueront point de publier un dizain ou un huitain de cette dame avec leurs propres poésies. C’est de cette façon que se sont conservés des vers de-Jeanne Gaillarde dans les poésies de Marot, de Jacqueline Stuara dans celles de Despériers. Il me semble inutile d’ajouter que cette poésie conventionnelle, qui ne connaît aucun élan vers la beauté ou quelque autre idéal, est froide, fade et monotone.

De même la poésie latine qu’on cultivait à Lyon à cette époque, a le plus souvent le caractère d’une correspondance poétique ; ce sont des billets de quelques lignes, c’est un échange de compliments et de bons mots. Mais elle connaissait aussi l’aspiration vers un idéal : on cherchait à imiter des poètes latins de la Renaissance italienne tels que Sannazar et Marulle, on s’efforçait même d’égaler les poètes lyriques de l’antiquité. La correspondance poétique s’étend sur tous les sujets qui peuvent intéresser des humanistes, jusqu’à la philosophie et à la religion. On y trouve encore des fadeurs ; la monotonie en disparaît rarement ; mais on sent l’individualité qui s’en dégage, on y sent la soif de gloire, immortelle qui naît dans ces poètes ; on y sent le souffle de la liberté et de la Renaissance.

A la même époque vivait à Lyon un homme qui appartenait par sa naissance à la société mondaine, par son instruction aux cercles humanistes de Lyon. Il excellait dans la poésie française et latine, et connaissait les lettres italiennes depuis sa jeunesse ; s’il y avait un homme dans la société lyonnaise qui fût capable de lui donner une nouvelle poésie, ce ne pouvait être que lui. Cet homme, c’était Maurice Scève[2].




  1. Revue d’hist. litt. de la France, t. IV. p. 407. L. DelarutlU. „Un dîner littéraire chez Mellin de Saint-Gelais.“ Cet article qui se base sur une poésie latine de Visagier, nous donne la description très intéressante d’une réunion d’humanistes lyonnais.
  2. Consultez sur les sources de ce chapitre ; Charléty, Sébastien. Bibliographie critique de l’Histoire de Lyon depuis les origines jusqu’à 1789. Lyon et Paris 1902.