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d’exprimer ses haines et n’aurait pas montré la même modération. Et un bon catholique n’aurait pas pu chanter la gloire de toutes les conquêtes de l’homme sur la nature sans mentionner l’Église romaine, de plus grande importance pour lui que l’Académie attique et les rhéteurs latins. Il n’aurait point parlé de la vie éternelle sans se souvenir de l’Église romaine qui garde avec jalousie toutes les portes du paradis et n’en permet l’entrée qu’aux hommes munis de ses moyens de salut.

On peut donc affirmer que le Microcosme est une œuvre d’inspiration plutôt évangélique que catholique, bien qu’elle ne soit pas d’un calviniste batailleur et fanatique. Une autre circonstance vient encore appuyer notre conjecture. Duverdier nous dit que Scève a traduit quelques psaumes de David, imprimés avec ceux que Jean Poictevin a mis en français[1]. Or ces psaumes servaient dans la deuxième moitié du seizième siècle surtout au culte des protestants, et depuis que le succès des psaumes de Marot avait été jalousé, soupçonné et poursuivi par le clergé, il n’y avait plus de catholiques qui se mêlassent d’en traduire d’autres.

Tout cela me fait croire que Maurice Scève a abandonné sa ville natale ; et qu’il est mort dans un exil volontaire, oublié et inconnu ; abandonné surtout par les auteurs qui représentaient la littérature officielle, tous catholiques fougueux, et, par conséquent, mécontents du Microcosme et de son auteur.

La vie de Maurice Scève fut celle d’un homme indépendant, pour qui la littérature ne fut pas un gagne-pain et qui n’écrivit pas non plus pour gagner la faveur d’un prince, comme la plupart des poètes de son temps. Un des plus riches et des plus influents citoyens de sa ville, il fut fêté et choyé par une société dont il était la première autorité en matière de poésie. Il employa ses loisirs à se procurer une instruction universelle étonnante, et à exercer et à protéger les arts que les Italiens de la Renaissance avaient fait revivre. Il aima la vie tranquille et heureuse dans la jouissance de la nature et de la solitude, et détesta les querelles des littérateurs, tout en reconnaissant le progrès qui pouvait en sortir.

Voilà les faits de sa vie qu’il est indispensable de connaître si l’on veut apprécier ses œuvres poétiques.




  1. Duverdier. Bibliothèque. J’ai parcouru le recueil des psaumes publié par Jean Poictevin. Tous sont anonymes, et il m’a été impossible de trouver des critériums pour distinguer ceux de Scève.