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souvent interrompues ? Je ne crois pas que ce soit permis ; à cette époque on a imprimé beaucoup de livres sans privilège. Il faut donc nous contenter pour le Microcosme de la date de 1562, sans indication plus exacte.

Quant à sa composition, il est certain qu’elle est antérieure, peut-être de quelques mois, à l’occupation de Lyon. Les trois derniers vers du poème constatent qu’il a été écrit dans une période de paix générale :

Universelle paix appaisoit l’univers
L’an que ce Microcosme en trois livres divers
Fut ainsi mal tracé en trois mille et trois vers.

Après le massacre de Vassy, le 15 mars 1562, il aurait été impossible d’écrire ces vers, dans cette France où les guerres civiles allaient sévir presque sans interruption jusqu’à la fin du siècle. Il faut donc admettre, pour date de la composition du Microcosme, au plus tard l’année 1561 et le commencement de l’année suivante.

Le Microcosme est un poème philosophique ; le sujet en est la création de l’homme et sa marche vers la civilisation. Aussi la France du moyen-âge a connu des poèmes encyclopédiques et philosophiques ; le plus célèbre du genre, le Roman de la Rose, est même resté en faveur jusque vers le milieu du seizième siècle, bien qu’il ne pût convenir aux esprits de la Renaissance. La connaissance de la Divine Comédie a donné aux Français un nouvel idéal du poème philosophique, Jean de Tournes en a publié en 1547 une magnifique édition qu’il dédia à Maurice Scève ; deux autres éditions lyonnaises du même poème sont celles de Guillaume de Roville, de 1551 et de 1552[1]. L’influence de Dante sur les poésies de Marguerite de Navarre est incontestable[2] ; quant à Scève, le Promptuaire des Médailles compare son style et son esprit à celui du grand poète florentin. L’antiquité romaine a possédé son poète philosophique en Lucrèce ; Denys Lambin a préparé vers 1560 une excellente édition critique de son poème De natura rerum, qui, étant sortie des presses lyonnaises, a certainement occupé les humanistes de la ville. Les poèmes de Dante et de Lucrèce ont servi de modèle à Scève ; non pas qu’il les ait imités, mais ils l’ont encouragé à donner à la France un poème vraiment philosophique qui remplacerait le Roman de la Rose dans son rôle d’encyclopédie poétique, et à composer ainsi le long poème françois que Du Bellay a recommandé à son poète idéal dans la Deffence et Illustration.

  1. Oelsner, Herm. Dante in Frankreich. Berliner Beitrage XVI. 1898. p. 22.
  2. Abel Lefranc. Les dernières poésies de M. de Navarre.