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que d’esthétique ; il préféra s’en tenir à l’art poétique de Marot qui avait suffi à lui donner son pain. Ce n’était pourtant pas du tout un homme ignorant ou de mauvais caractère, et ses idées n’étaient pas toujours rétrogrades ; il savait faire des vers latins ; dans le différend entre Marot et Sagon, il avait fait son possible pour défendre son maître absent, et il avait été le premier à secourir Héroët dans la controverse sur la nature de l’amour.

Mais, nous le répétons, il n’y a rien de plus faux que de regarder le Quintil Horatian comme un manifeste des poètes lyonnais contre Du Bellay. Les idées de ce livre ne sont pas du tout celles de Scève et de ses kmis. Aneau se fait le défenseur du rondeau, du virelai, de la ballade et du chant royal, et pourtant qui saurait trouver dans les œuvres de Scève, de Pernette du Guillet, de Dolet, de Matthieu de Vauzelles, de Taillemont une de ces formes que Du Bellay appelle dédaigneusement des „épiceries“ ? Le sonnet, méprisé par le régent de l’École de la Trinité, est l’unique forme employée par Scève pour ses effusions lyriques depuis les Marguerites de 1547. Aneau n’admet pas non plus l’églogue, et diffère en cela du poète de la Saulsaye.

Passons à la différence de fond, sans nous arrêter trop à ces questions de détail. La haine sourde de l’auteur du Quintil Horatian contre l’Italie, qu’on entrevoit à tout moment à travers ses observations critiques, ne peut pas être sortie de la société vraiment lyonnaise dont la tendance était précisément l’italianisme. N’oublions pas que Barthélémy Aneau a toujours adhéré, dans le fond de son âme, aux idées de la Réforme, sans pourtant les confesser publiquement, et qu’il est mort en martyr de sa confession. Cette haine de l’Italie, comme celle de Robert Estienne[1], s’explique donc par l’indignation du huguenot contre Rome et la morale de la Renaissance, contre la corruption italique, comme la nomme Estienne. À Lyon, les calvinistes — non pas les évangéliques à la façon de Rabelais et des poètes latins de la ville — ont sans cesse protesté contre toutes les influences de l’italianisme qui régnait dans la société cultivée. Aneau ne se montre nulle part admirateur d’un des poètes lyonnais cités plus haut — ses modèles restent les Molinet, les Crétin et les Meschinot —, et si le Quintil Horatian est une protestation contre la Deffence et Illustration de Joachim du Bellay, il l’est aussi contre Maurice Scève et le groupe d’auteurs qui l’ont reconnu comme maître.

Il y a encore une autre critique de la Défense qui semble être sortie de la société littéraire de Lyon. L’auteur en est le poète Guillaume des Autels, natif de Montcénis en Bourgogne, âgé

  1. cf. la Précellence du langage français. 1579.