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Jean de Meung et Jean Lemaire des Belges ; et les rondeaux, ballades, virelais, chants royaux et autres épiceries lui paraissaient des formes qu’on ne devait jamais cesser de cultiver. Il a beaucoup d’admiration pour la poésie de Scève qu’il défend contre des critiques malveillants, tout en reconnaissant son obscurité et d’autres duretés[1]. Il ne le nomme pas parmi les poètes qui se distinguent par la douceur de leur style, comme Marot et Saint-Gelais.

Les poètes du collège Coqueret, pris d’une sainte colère, répondirent au plaidoyer de Sibilet : Joachim du Bellay publia au mois de mars ou d’avril 1549 la Deffence et Illustration de la Langue française qui devint le manifeste de la nouvelle école. L’objet de mon travail ne saurait être d’analyser les idées de cet ouvrage ; d’autres l’ont déjà fait, et d’une manière excellente[2]. Mais nous montrerons plus tard que la plupart de ses principes n’avaient rien de nouveau pour Maurice Scève, puisqu’il les avait déjà mis en œuvre dans la Délie et surtout dans la Saulsaye. Scève avait, tout comme les poètes de la Pléiade, cette conception sérieuse et haute de la poésie, qui renonce à tout artifice mesquin et souhaite un art sincère et laborieux, en détestant le goût banal du grand public. Il s’était toujours rallié à la doctrine de l’imitation originale recommandée aussi dans la Défense ; il n’avait jamais fait de traductions. Un des premiers en France, il avait employé le sonnet, déjà en 1547.

On ne peut méconnaître la grande estime que Joachim du Bellay porte au chef de l’école lyonnaise. C’est presque le seul poète de son temps qui ne soit pas en butte à ses invectives et à ses railleries. Marot, Saint-Gelais et Héroët sont blâmés directement, avec mention de leurs noms, sans parler des poètes de moindre importance comme les „Espérants“, les „Bannis de liesse“, les „Esclaves infortunés“, les „Traverseurs“, qui ont excité par leur médiocrité la haine implacable de l’auteur de la Défense. Il est vrai qu’il n’épargne pas Scève dans sa critique. Nous sommes parfaitement de l’avis de M. Chamard[3] qui croit que

  1. Car l’envie, toujours compagnie de vertu, gardera jusqu’au bout sa méchante nature qui est de trouver neud au jonc et à redire en ce qu’est bien et ingénieusement inventé comme elle a naguères fait en la Délie de Scève, poème d’autant riche invention qui pour le jour d’hui se lise, en laquelle fait tous les jours impression de ses agites dents de chien et trouve à reprendre en ses tant doctes épigrammes la rudesse de beaucoup de mots nouveaux sans lesquelles (sic) toutesfois l’énergie des choses contenues celée et moins exprimée en fait ignorer bonne part de la conception de l’auteur laquelle avec tout cela demeure encores malaisée à en estre extraite. — Sibilet, Art poétique, Paris, Corrozet 1548. p. 23.
  2. Chamard, Henri. Joachim du Bellay. 1522 — 1560. Thèse de Paris. Lille 1900. — Joachim du Bellay. Œuvres complètes. Avec commentaire historique et critique par Léon Séché. Paris 1903. — Revue de la Renaissance, passim.
  3. Revue d’hist. litt. IL p. 408 et IV. p. 239.