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La noblesse et les bourgeois des grandes villes s’étaient émancipés du moyen-âge par un autre chemin. Les nobles apprirent à connaître l’art italien et la beauté de la nouvelle vie dans leurs campagnes d’Italie ; quant aux bourgeois, le commerce même leur apporta d’Outre-Mont une foule d’objets d’art qui leur donnèrent le goût de la mode ytalienne dans les formes du costume, de l’architecture et des objets d’usage et les rendirent curieux des idées italiennes. On allait s’intéresser aussi à la littérature du pays dont on reconnaissait la supériorité artistique ; de cette façon le public français s’apprêtait à recevoir la semence de ses propres érudits, en réunissant ainsi en un seul les deux courants qui avaient amené la Renaissance en France ; la transformation totale de la civilisation française commençait.

Le centre de vulgarisation de la littérature italienne et de la Renaissance était Lyon, et la typographie était le moyen de la faire rayonner par toute la France. Le nombre des livres italiens publiés par les imprimeurs lyonnais est assez considérable ; les diverses éditions de Pétrarque en particulier transformèrent le goût de la poésie lyrique. Mais la presse lyonnaise produisit aussi des livres français qui allaient réveiller l’esprit de liberté et de critique : par exemple les nombreuses traductions d’auteurs antiques, et puis les livres pantagruéliques de Rabelais.

Il va sans dire que la littérature telle que l’avaient conçue Marot et ses élèves ne pouvait plus suffire aux besoins esthétiques. Aussi constatons-nous un progrès considérable dans les lettres françaises depuis l’an 1540 environ ; c’est l’époque de la controverse sur la nature de l’amour (entamée par Héroët), de la Délie, des Rymes de Pernette du Guillet, des Marguerites de la Marguerite des Princesses, des Œuvres poétiques de Jacques Peletier du Mans et d’autres ouvrages encore qui montrent la tendance à s’éloigner de la vieille poésie gauloise cultivée par les „marotiques“.

Il existait déjà à ce moment des gens qui rêvaient une révolution littéraire plus rapide. C’étaient les trois élèves de Jean Dorat qui travaillaient depuis 1544 — la date de la publication de la Délie — avec leur maître au collège Coqueret pour se préparer à cette grande tâche. On sait aussi quelle fut l’étincelle qui mit le feu dans l£s esprits prêts à s’engager dans la bataille.

Dans les derniers mois de 1548, Thomas Sibilet, avocat au parlement de Paris, publia son Art poétique français, œuvre qui n’était pas ennemie du progrès (puisqu’elle se ralliait aux doctrines platoniciennes de la vertu comme motrice des arts et sciences et de la fureur poétique) mais qui n’entendait pourtant pas abandonner les productions de la vieille muse gauloise. Sibilet va jusqu’à recommander encore les rhétoriqueurs, Alain Chartier,