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Tous les Lyonnais de ce temps qui ont exercé une influence sur la littérature, ont été musiciens. Eustorg de Beaulieu a donné des leçons de chant aux enfants des premières familles ; Pernette du Guillet et Louise Labé ont la renommée de jouer des instruments de musique les plus divers. Maurice Scève a exhorté Clément Marot, déjà en 1536, à exercer sa voix par le chant ; le Microcosme et un passage du Solitaire second[1] de Pontus de Tyard nous montrent l’auteur de la 'Délie très fort en théorie musicale. Il a l’âme très sensible aux harmonies de la musique, et il sait exprimer sur le luth tout ce qui excite et apaise son cœur.

Leuth resonnant et le doux son des cordes
Et le concent de mon affection,
Comment ensemble unyment tu accordes
Ton harmonie avec ma passion.
Lorsque je suis sans occupation
Si vivement l’esprit tu m’exercites.
Qu’ores à joye, ore a dueil tu m’incites
Par tes accords, non aux miens ressemblants.
Car plus que moy mes maux tu lui récites,
Correspondant à mes soupirs tremblants[2]

.

Cet amour de la musique n’est pas resté sans influence sur la poésie de Scève. Après les temps de la prose rimée de Marot, il est le premier qui donne à ses vers un rythme soigné et une cadence mélodieuse qui partent d’une façon toute naturelle de son âme musicale.

La civilisation française avait fait des progrès prodigieux de 1540 à 1550. La Renaissance avait changé toutes les conditions de la vie et était entrée dans les âmes de la noblesse et même des bourgeois.

Dans sa première période, la Renaissance française n’avait existé que dans les têtes de quelques savants éclairés qui s’étaient adonnés à l’étude des auteurs de l’antiquité et des humanistes italiens, mais ces érudits avaient gardé leur acquisition pour eux et rien de la nouvelle conception de la vie n’était entré dans l’esprit des laïques.

  1. Solitaire Second, ou Prose de Musique. Lyon. J. de Tournes 1555. — p. 25-28. (Il s’agit d’une nouvelle notation de la musique.) Il me semble qu’avec peu de labeur, de quelqu’un qui par vénérable autorité et accomplissement des parties requises par Platon en l’inventeur et correcteur de langages, tirerait les François à son opinion, nous pourrions être enrichis de ce que nous défaut en cet endroit à l’imitation des anciens : desquels vous ne trouverez hors de propos que j’ajoute une autre mode de marques laquelle j’ay recueilli d’un fort vieux exemplaire venu en mes mains par la grâce de mon extrêmement ayjné ami, mais non jamais assez honoré de moi, Maurice Scève.
  2. Délie, dizain 344.