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les cheveux noirs et — il ajoute — „le teint pâle“ ce qui est peut-être une fiction poétique, une conséquence du pétrarquisme[1].

Ses portraits nous le montrent le crâne allongé en profondeur et le front bas, mais large et droit. Le nez aux narines gonflées est assez grand et énergique, les joues sont maigres et osseuses. Les yeux paraissent démesurément grands et sont ombragés de sourcils touffus ; ils ont une expression vague de rêverie mélancolique, presque maladive, et les lignes de la bouche donnent la même expression. Comme la plupart de ses contemporains, il porte toute la barbe qui est ronde et courte. Une pelisse épaisse qu’il porte par dessus sa veste a fait supposer Scève bossu (Steyert), opinion que nous ne pouvons pas partager après avoir examiné avec soin les deux portraits.

Même sans bosse, Scève n’est pas ce qu’on appelle un bel homme ; le portrait du Promptuaire des Médailles, qui semble être conçu par une individualité vraiment artistique et qui a un caractère de vérité, nous le peint même laid, mais d’une laideur sympathique et virile, embellie par une note de souffrance et d’esprit.

Nous aimons à nous le représenter tel qu’on le fête dans les sociétés lyonnaises où il est le personnage le plus en vue, la célébrité des salons. On y écoute avec grande attention sa parole éloquente, surtout quand il récite ses vers que tous ceux qui se piquent de littérature se hâtent d’apprécier, feignant de les avoir compris.

Une poésie latine, probablement peu antérieure à ces années, nous donne un petit tableau de la vie de Scève au milieu de la société lyonnaise. C’est le Roi de la Basoche par Philibert Girinet[2],

  1. Dans son jardin Vénus se reposoit
    Avec Amour, sa tendre nourriture,
    Lequel je vi, lorsqu’il se déduisoit,
    Et l’apperceu semblable à ma figure.
          Car il estoit de tresbasse stature,
    Moi trespetit, luy pasle, moi transy.
    Puisque pareils nous sommes donc ainsi
    Pourquoy ne suis second Dieu d’amytié ?
          Las, je n’ai pas l’arc ni les traits aussi
    Pour esmouvoir ma Maistresse à pitié.          (Délie, dizain 74.)
  2. Philiberti Girineti de Petri Gauteri in pragmaticorum lugdunensium principent electione. Imprimé dans Bucolicorum autores XXXVIII… par Oporin, Bâle 1546. p. 738-747. — Le P. Colonia qui ignorait l’existence des Bucolicorum autores (livre extraordinairement rare) a découvert le manuscrit de ce poème. Le même manuscrit fut édité par M. Breghot du Lut : Le Roi de la Basoche, poème latin inédit de Ph. Girinet, traduit en français avec des notes. Lyon. Ant. Périsse 1838. (Le P. Colonia en avait déjà publié des fragments dans son Histoire littéraire de Lyon. 1730.)
    Girinet est un des poètes les moins connus du cercle des Bourbon, des Visagier, des Ducher etc. Nous le trouvons plus tard chevalier de l’église de Lyon et trésorier de l’église de Saint-Étienne. Il était l’oncle et le bienfaiteur de l’historien Papire Masson. — Bonaventure Despériers nous a laissé une description brillante, d’un charme et d’une fraîcheur rares, de la même fête, mais probablement d’une autre