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entr’actes[1]. On sait que de toutes les pièces jouées en Italie au seizième siècle, aucune n’a approché du succès qu’eut cette comédie, et on peut s’imaginer l’impression qu’elle a faite à Lyon sur les hôtes royaux[2].

Le soir du lendemain on amusa la cour par une naumachie, suivant quant à la forme l’antiquité, mais quant à la façon elles (les galères) estoyent d’enrichissements et beautés, proues et pouppes de nouvelle et follastre invention, toutesfois trouvée tresbelle comme sont toutes nouveautés[3]. De chaque côté il y avait une capitainesse et deux galères moins grandes, remplies de soldats, tous avec des armures dorées. Elles étaient entourées de petites barques pour pêcher les hommes tombés à l’eau. On avança avec si grand bruit d’artillerie, harquebouzes, trompettes, clairons, hautbois, cornet, tabourins et fifres, tant des galères que des autres vaisseaux où les capitaines des enfants de la ville et des métiers estoyent chacun sur le sien, accompagné des siens, avec hallebardes, pertesanes et harquebouzes et autres armes clerement reluisantes sur ceste rivière qui donnoyent un effroy de guerre ; et néanmoins c’estoyt une joye effroyable et un joyeux effroy et contentement terrifique.

Les vaisseaux coururent les uns contre les autres à force de rames, et lorsqu’ils se rencontrèrent, les soldats firent un tel fracas d’armes qu’on aurait cru à un combat mortel à outrance. Le premier assaut fut suivi d’un deuxième et d’un troisième, au cours duquel une petite galère fut coulée à fond. Le tintamarre que faisaient l’artillerie, les arquebuses et les trompettes, était tel qu’on ne pouvait plus s’entendre l’un l’autre. Pourtant personne ne fut blessé dans ce combat. Le roi se retira alors au Couvent de l’Observance, accompagné de toutes les galères, brigantins et fustes. Et estoit le nombre des vaisseaux si incrédible que les poissons se pouvoient venter d’estre couverts comme d’une crouste de glace, car on ne veoyoit point l’eau, en lieu que ce soit, tant estoit couverte de gens et batteaux, et les rivages de Saône tout pleins de peuple que l’on ne pouvoit bonnement discerner la rivière des rues.

Après sept heures, lorsqu’il commença à faire nuit, le roi monta de nouveau sur son bucentaure qui le reconduisit à Ainay. Comme il passait près de Pierre-en Scise, on tira un feu d’artifice avec un moulin à feu, chose rare au seizième siècle, qui fit un grand tintamarre entre le tonnerre de l’artillerie et les sifflements aigus des fusées, dont plusieurs timides eurent belles affres

  1. Castiglione. Lettere. I p. 156. — Maulde. Les Femmes de la Renaissance p. 381 ff.
  2. Creizenach (Geschichte des neueren Dramas, t. III p. 76) donne à cette représentation la date de la Relation : 1549. Elle eut lieu en 1548.
  3. Serait-ce une protestation de Scève contre le style baroque naissant ?