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il en fut très content et y joua plusieurs fois pendant son séjour. Il passa le reste de la journée sur son bucentaure qui le promena lentement sur la Saône. Vers les cinq heures, leurs Majestés se rendirent à la comédie que la nation florentine et le cardinal de Ferrare[1] avaient préparée pour cette fête. Le décor de la salle était somptueux ; on y avait mis douze grandes statues : six poètes florentins et six ancêtres de Catherine de Médicis[2] car c’était surtout une compatriote que la nation florentine voulait fêter dans la personne de la reine.

Les Histrions tout richement et diversement vestuz de satin et velours cramoisy, drap d’or et d’argent broché d’or avec la récréation et la diversité de la musique changeant selon les sept anges intervenants aux actes, et le tout accompagné d’un Appollo chantant et récitant au son de la Lyre plusieurs belles rithmes Toscanes à la louange du roy, et sans oublier une nouvelle mode et non encore usitée aux récitements des Comédies : qui fut qu’elle commença par l’advènement de l’Aube qui vint traversant la place de la perspective et chantant sur son chariot trainé par deux coqs, et finit aussi par la survenue de la nuict, couverte d’estoilles et portant un croissant d’argent, et chantant dans son chariot trainé par deux Chevêches ou Chouettes en grandissime joye, attention et plaisance des spectateurs, lequel esbat fut à sa Majesté d’une telle délectation qu’il ne s’en voulut contenter pour une seule fois.

Voilà tout ce que Scève nous dit de cette première représentation donnée en France par des acteurs italiens et dont il a été le témoin. Je ne doute point qu’il n’y ait pris beaucoup d’intérêt ; la juste appréciation que nous venons de citer (cf note 2), du rôle des Médicis dans le développement de la Renaissance est une nouvelle preuve de la connaissance intime qu’il avait de la littérature et de l’art italiens. Mais il a écrit sa relation pour le grand public qui ne comprenait rien alors à ce genre de représentation. La relation italienne en sait plus long. Elle nous apprend qu’on joua la Calandria de Bernardo Dovizio (le cardinal de Bibbiena) et qu’on s’efforça de la jouer avec le même faste qu’à sa première représentation, en 15 10 à Urbin, ce deuxième centre du platonisme de la Renaissance italienne. On répéta aussi les mêmes

  1. Hippolyte d’Este, fils d’Alphonse de Ferrare et de Lucrèce Borgia. Né en 1509, il vint très jeune en France où il plut beaucoup à François Ier qui lui fit donner en 1530 le chapeau de cardinal. Depuis 1540 il est archevêque de Lyon, mais il se trouve le plus souvent à la cour. En 1543, Jean Desgouttes lui dédie sa traduction du Roland furieux. Mort en 1551. (Péricaud, Antoine. Notice sur Hippolyte d’Este. Lyon 1865.)
  2. Scève se hâte d’ajouter : qui furent pretniers restaurateurs des lettres grecques et latines, de l’architecture, sculpture, peinture et tous autres bons arts par eux résuscitez et introduicts et Europe Chrestienne desquels la rudesse des Goths l’en avaient dès longtemps desvestue.