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La Vertu continua d’une voix modeste :

Le temps aussi, lequel tout extermine
Esgalera la Famé à tes mérites,
Sceptres rendant et courones petites
A ta grandeur et majesté bénigne.

Au pont Saint-Paul, on avait construit un troisième arc de triomphe richement doré dans tous les détails de son architecture. Sous les arcs latéraux on avait placé les statues de la Saône et du Rhône, accoudées sur des vases antiques, la première dormante, figurant un fleuve doux et lent, la deuxième représentant un homme levé à demi, la face terrible, et furieux, selon la nature de ce fleuve. Derrière ces statues il y avait une forêt avec des oiseaux artificiels, qui chantaient comme s’ils avaient été vivants. Au pilastre du milieu, il y avait le masque riant d’une femme qui jetait du vin de sa bouche ; quand on en approchait, on était subitement inondé par des jets d’eau qui partaient d’entre ses dents[1].

Un peu plus loin on se vit devant un quatrième arc de triomphe qui représentait le temple d’Honneur et de Vertu, nouvelle occasion de complimenter le roi. Il était orné d’un grand nombre de statues allégoriques et d’une frise avec divers „triomphes“ inspirés sans doute par le Songe de Poliphile. À la place du Change, on aperçut la perspective d’une ville antique, représentant Troye. Sur deux plateformes étaient placés Neptune et Pallas avec leurs emblèmes. Ils opéraient quelques „trucs“ qui offriraient des difficultés même aux mécaniciens d’un théâtre moderne : Neptune fit sortir du roc la tête d’un cheval qui mouvait les yeux et les oreilles tout ainsi que s’il fût vif, et il dit à Pallas :

De mon trident ce cheval je procrée
Non tant pour estre à l’homme familier.
Que pour servir cest heureux chevalier
Qui tout ce siècle à son venir recrée.

Pallas lui répondit par le quatrain suivant :

De ceste lance qui toute force encrée
De Mars jadis confondoit les alarmes,
De ces haineux humiliant les armes
Luy rendant Paix qui tant au monde agrée.
  1. On trouve un engin très semblable dans le Songe de Polipltile dont les grotesques fantaisies architecturales paraissent avoir inspiré beaucoup de détails de cette entrée. On sait que l’arrangeur du cinquième livre de Pantagruel a traduit de longs passages de ce livre singulier qui était très à la mode à cette époque.
    (Francesco Colonna.) La Hypnerotomachia di Poliphilo, cioè pugno d’antore in sogno… Ristampato et ricorretto. Venetia, Aldus 1545. Édition non paginée comme la première de Venise de 1499.
    Hypnerotomachie ou Discours du Songe de Poliphile… Nouvellement traduit du tangage italien en françoys. Paris, Kerver 1546, 1554 et 1561. Le passage en question se trouve à la page 28 de l’édition de 1561.