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ment de soldats formait la tête de cette partie du cortège ; un autre détachement en fermait la marche, c’était l’avantgarde de la fanterie des enfants de la ville — soixante hommes — couverts d’armures étincelantes avec morions dorés, panaches de plumes blanches, noires et rouges et armes brillantes. C’était une troupe de grand monstre et brave à merveilles.

Voilà un cortège qui ne sera jamais égalé dans les siècles suivants à ce que je sache, j’estime à neuf mille le nombre des participants. Neuf mille citoyens lyonnais, des artisans et des ouvriers, pouvaient se permettre, à cette époque, pour l’entrée de leur roi, le luxe de costumes complètement neufs, en velours, en satin, avec des broderies, toutes sortes d’étoffes précieuses. Leurs piques, épées et dagues étaient dorées. Il y avait dans ces hommes un esprit d’antique générosité romaine, une certaine fierté heureuse de pouvoir montrer la richesse acquise par le commerce et l’industrie et la discipline militaire d’hommes forts et libres, même en présence de leur souverain. Combien différents seront, un siècle plus tard, les bourgeois de cette même ville de Lyon accueillant Louis XIII et Louis XIV à genoux, dans la poussière de la route en humbles vêtements, sans armes, et avec une soumission d’esclaves orientaux[1].

Après le défilé de la magnificence bourgeoise, un spectacle assez différent est offert au roi, qui le goûta fort. Les douze gladiateurs qu’on avait engagés, les uns vêtus de satin blanc, les autres de satin cramoisi, commencèrent un combat à l’antique non quant aux armes mais quant à l’ordre de se sçavoir secourir et entrer les rangs les uns dans les autres sans se rompre. Toutes les espèces d’armes furent présentées avec art ; ils combattaient à armes égales et différentes, tous à la fois, dans un ordre bien difficile à maintenir dans la rue étroite. Les tronçons des armes volaient de tous côtés, les épées se brisaient, mais il n’y eut point de blessés au grand étonnement des spectateurs effarouchés ; ce passetemps donna tant de satisfaction à sa Majesté qu’elle voulut le revoir encore six jours après l’entrée solennelle. Les gladiateurs ayant fini leur représentation qui ressemblait de près à un ballet très compliqué et dont le charme était surtout la grâce des escrimeurs et le danger évident, ils saluèrent le roi de leurs épées et rejoignirent l’avant-garde des enfants de la ville qui les avaient attendus à un détour de la rue[2].

  1. Relations des entrées de Louis XIII (1634) et Louis XIV (1662).
  2. Brantôme se souvient, dans ses œuvres, de ce combat (éd Lalanne, A. III, p. 350 etc.) Il en dit ; Voilà un passe-temps tt combat qui, dtpuis les anciens Romains possible, n’avoit esté représenté tel, et lequel pourtant mieux se peut représenter par la veue que par l’escriture qui ne peut nullement approcher en la moindre perfection que les yeux humains peuvent divinement atteindre. Ah ! gente ville de Lyon, que vous monstrâtes bien là que vous estiez bien gentil », adroits et ingénieux comme de tout temps vous l’avez esté en ce que vous avez voulu entreprendre.