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poser tant en carme qu’en oraison solue… Jamais ne feurent veues dames tant propres, tant mignonnes, moins fascheuses, plus doctes, à la main, à l’aiguille, à tout acte mulièbre honneste et libre que là estoyent.“ Ajoutons que nous ne trouvons dans l’Abbaye de Thélème ni le mariage chrétien, ni la fidélité conjugale.

Mais revenons à Pernette du Guillet. Nous avons déjà dit plus haut qu’elle était la plus aimable des Lyonnaises dont des notices nous soient parvenues. Personne ne terminera la lecture de ses Rymes sans ressentir une vive sympathie pour la maîtresse de Scève, morte dans la fleur de la jeunesse. Ses vers ne brillent pas par de grandes qualités de langue et de style, par des images très poétiques, par un vol soutenu. Ils n’ont pas même l’avantage d’être très originaux, rappelant trop souvent la Parfaite Amye, Mais on ne manquera pas de les goûter pour leur caractère de sincérité que ne gâte aucun artifice, pour ce fin parfum d’une âme féminine qui sent le bonheur d’être aimée, bonheur qu’on respire à travers ces rythmes simples. Comme la continuation de cette étude traitera aussi des vers de Pernette, nous nous abstenons d’en citer dans ce chapitre.

Pour l’époque qui suivit la mort de Pernette du Guillet, nous avons très peu de notices concernant la vie de Scève. C’étaient les dernières années du gouvernement de François Ier malheureuses pour toute la France, où le roi de la Renaissance compromettait l’œuvre de sa jeunesse. Les poètes et savants lyonnais eurent à s’en ressentir. Le procès d’Étienne Dolet marchait avec une lenteur désespérante pour finir d’une manière plus désespérante encore. Guillaume Scève, depuis 1539 conseiller au parlement de Chambéry, était engagé dans un procès contre un confrère qu’il avait accusé de négligence et qui fit tout pour se venger en cherchant à le supplanter de sa charge par toutes sortes de cabales. Il parait qu’il mourut en prison à Paris, avant le jugement définitif de son procès, probablement vers le commencement de 1546[1].

La perte de son cousin, qui avait été son ami et son collaborateur en littérature, toucha de près le cœur sensible de Maurice Scève. Le trépas du roi qu’il avait chanté avec tant d’enthousiasme dans la Délie, ne dut pas non plus le laisser froid. François Ier mourut le dernier jour de mars 1547 et l’on ensevelit avec lui la plus belle époque de la Renaissance française, l’époque des grandes espérances et de l’enthousiasme ardent qui force notre

  1. Mugnier. op. cit. p. 98-108.