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Quelles étaient, à cette époque, les mœurs des autres Lyonnaises qui se sont fait connaître soit par les vers qu’elles ont composés, soit par ceux qu’on leur a adressés ? Nous avons dit plus haut que la poésie marotique était, à Lyon comme dans le reste de la France, un véritable jeu de société. Toute personne qui voulait passer pour instruite, s’essayait à la correspondance poétique et rédigeait toute sorte de compliments en vers. Il ne serait pas juste de supposer que les Lyonnaises „poètes“ sur lesquels nous avons, par hasard, des notices, aient été les seules qui aient su faire des vers ; au contraire l’exception serait, je crois, une dame du monde lyonnais étrangère à cet art.

Les renseignements trop rares que nous avons sur les femmes auteurs ne nous permettent pas de déterminer la place qu’elles tenaient dans la société lyonnaise. Peut-être que Jeanne Gaillarde, l’amie de Marot, fut courtisane, son nom paraît suspect. De Jacqueline Stuard on ne sait rien si ce n’est qu’elle a échangé quelques dizains avec Bonaventure Despériers. Jeanne Creste a reçu les hommages des poètes latins[1] ; un jour elle donna dans la rue un baiser à un ramoneur pour gagner un pari. Personne ne doutera de l’honorabilité de Claudine et Sibylle Scève, les sœurs (ou cousines) de Maurice — Billon fait leur éloge pour les opposer à Louise Labé — ; et Catherine de Vauzelles, sœur des trois célèbres frères, n’est pas non plus accessible aux soupçons. Voilà des femmes, des meilleurs familles lyonnaises, chez lesquelles le goût pour la poésie et la science étaient héréditaires.

Rien de plus caractéristique pour la civilisation lyonnaise que les relations entre les deux sexes, telles qu’elles ressortent de tout ce que nous venons de dire et de tout ce que les documents nous rapportent : les frères entraînaient leurs sœurs, et les amants leurs maîtresses vers la terre nouvellement découverte : la Renaissance de la beauté, de la poésie et de la science. Voilà ce que nous apprennent Claudine et Sibylle Scève, et Catherine de Vauzelles, ainsi que Remette du Guillet qui remercie à tout moment son amant de ce qu’il a fait le jour dans la nuit de son ignorance. Il se peut même que celui-ci lui ait donné des leçons de grec. Adam qui fait à Ève, dans le troisième livre du Microcosme, un cours d’astronomie et de cosmographie, paraît être l’image fidèle des Lyonnais de cette époque. N’est-ce pas là la société qui a inspiré à Rabelais les chapitres sur l’Abbaye de Thélème ? „Tant noblement estoyent apprins qu’il n’estoit entre eulx celluy ou celle qui ne sceust lire, escripre, chanter, jouer d’instruments harmonieux, parler de cinq à six langages, et en iceulx com-

  1. Duther. Liber I p. 94 et Vulteius. Carmina, passim.