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RUE PRINCIPALE

fort habilement placées par le défenseur, acheva d’énerver l’accusateur public et de mettre la salle en joie. Marcel le soutint avec fermeté et ne tomba dans aucun des pièges qui lui étaient tendus.

Mais l’avocat de la couronne gardait, dans la large manche de sa robe, un atout formidable. Sentant le public contre lui et craignant de voir le tribunal subir l’influence de la salle, il jugea le moment opportun de jouer sa meilleure carte.

— Votre Seigneurie, dit-il, j’ai reçu ce matin, avant l’ouverture du procès, la visite d’un citoyen honorablement connu de Saint-Albert, dont le témoignage est de nature à jeter sur l’affaire qui nous occupe une lumière éclatante. Quoiqu’il n’ait pas été régulièrement cité, je demande à Votre Seigneurie la permission de faire entendre ce témoin.

— Ça allonge une liste déjà longue, répondit le juge. Enfin ! Faites-le entendre.

Falardeau, qui savait l’éloquence et la force de certains silences, compta mentalement jusqu’à dix avant de se tourner vers le greffier pour lui dire :

— Faites entrer monsieur Léon Sénécal.

Une vague d’étonnement passa bruyamment sur l’assistance. Léon Sénécal ! Qu’est-ce qu’il pouvait bien avoir à faire dans cette histoire ? Et tandis que le greffier d’abord, l’huissier ensuite, répétaient le nom du témoin-surprise, les commentaires allaient bon train. Sur maître Léon Martin, qui entendait le nom pour la première fois, l’atout de Falardeau n’avait guère fait d’effet : mais Marcel ne réussit pas à cacher son inquiétude.

Lorsque le greffier eut procédé à l’assermentation du témoin, Falardeau s’adressa au juge.

— Votre Seigneurie, dit-il, je crois qu’il n’est pas inutile de remonter le cours de quelques semaines, et de dire quelques mots d’un incident, ou