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RUE PRINCIPALE

Les chefs politiques, les grands industriels, les financiers en vue vous diront que, pour mettre un journal de son côté, le moyen le plus sûr c’est encore d’en devenir propriétaire. Monsieur Bernard le savait, et comme au surplus il n’ignorait pas que la situation matérielle de Brasseur était de celles dont les avocats, les huissiers et les commissaires-priseurs sont généralement les seuls à profiter, il avait tout simplement acheté l’imprimerie, et le journal par dessus le marché. Cela avait mis Blanchard dans une colère épouvantable mais avait rempli d’aise le dénommé Brasseur qui, ayant été payé comptant, avait pris le premier train pour les États-Unis en oubliant, il va sans dire, de désintéresser ses créanciers.

Et Gaston, qui avait maintenant la presse de son côté, avait tenu une première assemblée dont le succès avait été triomphal. Les chers électeurs du beau quartier centre de la belle ville de Saint-Albert y avaient acclamé des orateurs aussi distingués que le candidat lui-même, le boucher Mathieu et l’épicier Girard. C’est de grand cœur qu’ils avaient conspué le nom de Blanchard chaque fois qu’il était prononcé ; et Dieu sait s’il le fut souvent au cours de cette soirée mémorable, à l’issue de laquelle Mathieu prédisait à tous une victoire éclatante pour son protégé.

Mais la riposte ne s’était pas fait attendre. Blanchard aussi avait tenu une grande assemblée, tout aussi triomphale que celle de Gaston et où, aussi paradoxal que cela puisse paraître, étant donné que le public était sensiblement le même, le nom de Lecrevier avait été conspué avec la même énergie que celui de Blanchard quelques jours auparavant.

Une différence capitale dans la situation des deux candidats avait cependant fortement influé