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LES LORTIE

— Et pourquoi pas ? Vous y êtes née vous, je suppose ?

— Oui.

— Si je ne me trompe, le patron du restaurant m’a dit l’autre jour que vous étiez orpheline. Vous voyez, je me suis déjà un tout petit peu renseigné. J’espère que vous ne m’en voulez pas.

— Mais pas du tout, je vous assure…

— Et dites-moi, vous êtes seule au monde ?

La réponse prit du temps à venir. La vilaine ombre qui avait quitté le regard de Ninette y reparut soudain, et ce fut d’une voix plus grave, plus mince aussi, qu’elle répondit :

— Non, j’ai un frère.

Monsieur Bernard perçut le changement de ton, la tristesse dont était empreinte la réponse.

— Je ne m’étonnerais pas, dit-il, que ce soit lui qui vous ait fait pleurer tout-à-l’heure.

— Lui… et autre chose.

— Plus âgé, plus jeune que vous ?

— Plus jeune ; de deux ans.

— Et… et que fait-il dans la vie ?

Décidément le vieux monsieur posait facilement des questions. La conversation prenait un petit air d’interrogatoire que Ninette trouvait embarrassant. Mais pas un instant pourtant elle ne songea à se dérober. Si elle hésita à répondre, c’est qu’il était bien difficile de donner un état à Marcel, qui n’en avait aucun. Monsieur Bernard attendait patiemment en dessinant du bout de sa canne, sur le sable de l’allée, des canards qui n’avaient qu’une ressemblance très vague avec ceux de l’étang. Ninette finit par dire :

— Il ne travaille pas actuellement. Il n’y a pas très longtemps qu’il a fini ses études et il n’a pas encore réussi à se trouver une situation qui en