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LES LORTIE

— Je me demande bien, dit-elle, qui a pu te donner l’idée de me faire venir ici par un temps pareil ?

— Laisse faire ! Tu vas le savoir, répondit Sénécal. Mais ce que je voudrais savoir, moi, par exemple, c’est pourquoi tu n’es pas venue plus tôt ! Ça fait une heure que je t’attends ici. T’as pas l’air de te rendre compte qu’il fait pas très chaud.

Elle haussa les épaules.

— Si je ne suis pas venue plus tôt, répondit-elle, c’est probablement parce que j’avais autre chose à faire : et d’ailleurs, je suppose que tu ne m’as pas fait faire tout ce trajet-là rien que pour le plaisir de me faire des reproches si j’arrivais en retard ?

Il y avait, dans la voix de Suzanne, tant de méprisante supériorité, que Sénécal en fut comme subjugué et qu’il se calma du coup. Ce fut d’une voix étrangement radoucie, qu’il reprit :

— Qu’est-ce que tu m’as raconté au téléphone cet après-midi ? Tu as quelque chose de neuf à me dire ?

— Oui, plutôt.

— Pas une mauvaise nouvelle, j’espère ?

Suzanne fit de la tête un geste d’ignorance.

— Tu sais, dit-elle, le dernier billet de ton ami Jeannotte ?

— Oui, celui que je t’ai donné vendredi ?

Elle fit oui de la tête.

— Eh bien ? questionna-t-il.

— Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Il était dans mon sac vendredi soir, et depuis je ne parviens plus à mettre la main dessus.

— Dis-moi pas… dis-moi pas, bégaya Sénécal visiblement bouleversé, que tu as été assez bête pour laisser traîner ça quelque part !

— Je ne l’ai certainement pas perdu. Si je ne l’ai plus, c’est qu’on me l’a pris.