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RUE PRINCIPALE

nez ; un sourire à provoquer une déroute dans les rangs des fabricants de pâtes dentifrices ; une jambe à faire souhaiter le bannissement perpétuel de la mode des robes longues ; un regard à vous faire oublier l’heure de votre train ! Et avec ça, rien de provocant, rien de calculé. Évidemment, elle devait savoir qu’elle plaisait, elle devait savoir qu’elle était jolie — on avait dû le lui dire plus d’une fois — ; mais elle n’avait pas l’air de vouloir en profiter, elle ne semblait pas en tirer la moindre vanité. Dans toute son allure, si sûrement, si naturellement élégante et racée, il n’y avait pas pour deux sous de pose, pas pour un quart de sou de prétention.

Ah ! oui, Mathieu avait raison. Si Bob avait conquis cette femme-là, si tant de beauté lui était acquise, il n’aurait eu aucune excuse de s’intéresser à la politique !

Ils se joignirent. Dans leurs yeux monta le désir du baiser qu’ils n’osèrent échanger. Il lui prit le bras, rythma son pas sur le sien et, dans la cohue, le bonheur s’enfonça.

Cinq minutes plus tard, Ninette et Bob entraient chez Gaston.

Gaston, c’était et c’est encore l’unique restaurateur de Saint-Albert. Il y a évidemment, dans une ville de vingt-deux milles habitants, plus d’un restaurant : mais il peut très bien n’y avoir qu’un restaurateur. Car on ne peut guère considérer comme dignes de cette noble profession, le gargottier chinois et le confiseur grec qui apportent à nourrir les célibataires de Saint-Albert, un soin comparable à celui qu’apporte le commun des mortels à nourrir les souris qui peuplent son grenier.

Gaston était donc le restaurateur de Saint-Albert. C’était en outre l’un de ses habitants les plus