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LES LORTIE

et un gars qui est venu me dévaliser ici, à la pointe de son revolver, puis qui court les rues et qui a le front de se montrer partout !

— Prends garde, fit Mathieu, le juge l’a acquitté !

— Qu’est-ce que ça peut me faire ça, à moi ? Je suis aveugle, peut-être ? Je ne l’ai pas vu, sans doute ?

— Ben, entre nous autres là, Sénécal, remarqua Girard, laisse-moi te dire que ça t’a pris ben du temps pour le reconnaître.

— C’est là que tu te trompes, Phil Girard ! Ça ne m’a pas pris six semaines, ça m’a pas pris six jours, ça m’a pas pris six minutes pour le reconnaître ! Seulement il me manquait un petit quelque chose pour être certain. Vous comprenez, je les estimais moi, les Lortie ; ça fait que je me suis dit : « C’est pas possible que ça soye Marcel. Marcel ferait pas ça ! T’as mal vu. Tu te trompes ! » Dans un état d’esprit pareil, j’étais pas pour aller dire à la police que je pensais que c’était Marcel Lortie qui avait fait le coup. J’aimais bien mieux dire que je le savais pas et que c’était probablement un gars que j’avais jamais vu de ma vie. Comprenez-vous ça ?

La porte s’était ouverte à plusieurs reprises et une dizaine d’hommes étaient entrés. Personne, cependant, ne semblait pressé de se faire servir. La tournure que prenait la conversation faisait pressentir à tous un orage prochain, et nul ne se souciait, par une interruption intempestive, de ramener le calme et, par conséquent, de priver l’honorable assistance d’une prise de bec qu’on espérait monumentale.

— Ben moi, farine d’avoine ! dit Girard avec un calme nuancé de mépris, si tu veux mon avis, Léon Sénécal, le jour où tu as été dire devant le