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I

où il est déjà question d’amour et de politique

On était à la mi-octobre.

Déjà le jour reculait devant la nuit ; lui cédait, minute par minute, les heures qu’il avait conquises sur elle au printemps. Ce recul, on avait commencé à le sentir au début du mois ; le retour à l’heure normale avait fait le reste et, ce soir là, lorsque la sirène de la fabrique de chaussures avertit la population de Saint-Albert qu’il était six heures, il y avait longtemps déjà que le soleil s’était noyé dans les eaux du Saint-Laurent.

Six heures, c’est pour Saint-Albert et ses deux dizaines de milliers d’habitants, l’heure de l’animation. Tout un monde d’artisans et de petits bourgeois se croise, se coudoie sur l’asphalte des trottoirs de la rue Principale : travailleurs se hâtant vers le souper familial, ménagères ayant une dernière emplette à faire, flâneurs semblant aller et venir sans but.

Cette foule bigarrée et bruyante avait toujours été, et était encore, un sujet d’amusement pour ce brave Joseph Mathieu, boucher de son état, dont l’établissement faisait face, un peu à l’ouest du parvis de l’église Saint-Albert, à la façade criarde du cinéma Agora. Cette foule était pour Mathieu le symbole même de la vie, de sa vie à lui, né, élevé dans cette rue Principale qu’il disait — et il était convaincu ! — le plus bel endroit du monde.

Ce soir là donc, six heures venaient de sonner et Mathieu, après trois quarts d’heure particu-