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RUE PRINCIPALE

Ce Jules Lanctôt était un être assez singulier. Pas trop mal tourné, d’une élégance à laquelle il ne manquait qu’un peu de discrétion, il soignait son langage, qu’il émaillait d’ailleurs d’expressions étonnantes et dont certaines personnes le soupçonnaient de ne pas comprendre le sens.

C’est ce beau langage qui avait séduit Cunégonde. Ce beau langage et aussi une moustache ! Car monsieur Jules avait une moustache splendide et dont il prenait le plus grand soin. On eut dit, quand on n’avait pas le loisir de la voir de très près, qu’elle était faite de coups de pinceau magistralement appliqués, tant elle était mince et symétrique. Monsieur Jules en était d’ailleurs très fier.

Or donc, ce matin-là, il était à peine huit heures lorsque monsieur Jules et sa moustache sonnèrent à la porte de Cunégonde, qui croyant reconnaître le coup de sonnette familier du boulanger Girard, ouvrit sans crainte de montrer ses bigoudis et son peignoir à fleurs.

Ah ! si elle avait su, la pauvre Cunégonde, elle n’aurait certes pas exhibé aux regards du seul amoureux qu’elle ait eu depuis dix ans, le désordre de sa toilette matinale. Heureusement, monsieur Jules ne parut prendre garde ni aux bigoudis ni au peignoir.

— Bonjour, chère amie, dit-il en lui baisant les doigts.

— Ben, dis-moi donc ! Qu’est-ce que tu viens faire à cette heure icitte ? demanda Cunégonde en jetant à son miroir un regard chargé d’inquiétude.

— Ma chère Cunégonde, si je suis venu de si bonne heure, c’est parce que… parce que j’ai besoin que tu me rendes un service.

— Un service, bout de peanut ?