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RUE PRINCIPALE

vie ? Là-bas, entre les bouées rouges et noires qui marquaient le chenal, un paquebot parut. Deux énormes cheminées jaunes amenèrent sur les lèvres de Marcel qui, comme tous les riverains du Saint-Laurent, avait appris à reconnaître les caractéristiques des bâtiments des différentes compagnies de navigation, ces simples mots :

— Un Duchess.

Le transatlantique, qui avait quitté Montréal quelques heures auparavant, s’en allait vers Québec, le golfe et l’Atlantique. Ah ! comme il eut, ce pauvre Marcel, voulu se voir à bord ! Même sans bagages, même sans argent, il eut préféré, tant la détresse de son âme était grande, l’angoisse de l’expatriement à la méchanceté imbécile de ses concitoyens.

Rauque, la sirène du Duchess hulula trois fois. Pour Marcel, ce furent comme trois appels auxquels il ragea de ne pouvoir répondre. Il sentit, à la gorge, cette étreinte qui précède le sanglot. Et il aurait pleuré, pleuré sans retenue comme un enfant blessé, si soudain, par-dessus son épaule, le vent ne lui avait apporté des mots.

— Bonjour Marcel.

Il sursauta, fit un effort violent pour retenir le sanglot qui montait, se retourna vers la voix, et vit, baigné par les derniers rayons du soleil, un frais visage de jeune fille.

— Je t’ai fait peur ? fit la voix.

— Mais non, Fernande, pas du tout. Seulement je ne t’avais pas entendue venir.

— Ça ne m’étonne pas ; tu avais l’air d’une statue. Je… je ne te gêne pas au moins ?

— Mais non, au contraire.

Il y eut un silence. La jeune fille sembla attendre quelque chose qui ne vint pas. Dans la lumière diffuse de cette fin d’après-midi d’automne,