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LES LORTIE

que le malheureux qui se noie voit soudain tendue à sa portée.

Ninette se montrait donc heureuse de l’orientation donnée par monsieur Bernard aux pensées et aux goûts de son frère ; et si elle se rendait vaguement compte que l’acquittement n’avait pas satisfait tout le monde, qu’il restait encore, dans Saint-Albert, des gens dont les sentiments à l’égard de Marcel n’étaient pas dénués de méfiance, elle refusait de s’alarmer, en pensant que le temps, ce grand guérisseur, ce tout-puissant dispensateur d’oubli, aurait raison des derniers doutes, des dernières calomnies. Ninette souffrait-elle de cette brouille stupide qui l’avait séparée de Bob ? Personne n’aurait pu le dire. Elle continuait d’afficher le même sourire, de faire preuve du même entrain, évitant avec adresse les occasions qui lui étaient données, avec ou sans intention, de parler du beau policier. Les jours passaient, élargissant le fossé, et les intimes de l’un comme de l’autre commençaient à ne plus oser espérer une réconciliation.

Ce soir-là cependant, lorsqu’un peu après six heures Ninette sortit de l’Agora, Bob s’avança rapidement à sa rencontre. Il s’arrêta devant elle, souriant, visiblement gêné, et, pendant quelques secondes, ils se regardèrent sans mot dire. Ce fut Ninette qui, la première, se rendit compte de l’anomalie de la situation.

— Tu as quelque chose à me dire ? fit-elle.

— Oui, naturellement, puisque je suis là.

Et comme elle semblait attendre qu’il s’expliquât, il lui dit rapidement et presqu’à mi-voix :

— Tu ne trouves pas que cette situation bête a assez duré ?

— Je ne vois pas du tout ce que la situation a de bête, Bob.