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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

l’étranger quatorze cent mille quintaux de blé ? Quel était l’effet de cette mesure ? De répandre l’alarme, d’amener une hausse factice, d’imposer à l’État une dépense de quarante-cinq millions, et, ajoute le voyageur anglais Arthur Young, témoin oculaire, de causer la mort de plusieurs milliers d’hommes que l’élévation des prix fit périr, quoiqu’il n’existât pas réellement de disette. En 1811 et en 1812, en 1817 qui ne sait qu’on a vu se renouveler la même expérience désastreuse ? On ne parlait pas encore de démocratie dans l’ancien régime, mais on se préoccupait dès lors par humanité et par politique de l’intérêt populaire. C’était l’intérêt populaire qui dictait à Philippe le Bel cette mesure de maximum sur les céréales qu’il fallut retirer, comme plus tard la Convention retirait la sienne, avec l’aveu répété à quatre siècles de distance qu’on n’avait réussi par là qu’à exagérer le mal. Assurément la sollicitude des préfets pour leurs administrés est grande aujourd’hui, et grande aussi est celle de ces maires qu’on a vus menacer dans leurs affiches les accapareurs, c’est-à-dire au fond cette liberté du commerce des grains, qui distribue entre les diverses parties d’un territoire le blé acheté de divers côtés, qui nivelle les prix au profit commun des consommateurs et des cultivateurs dont elle met d’accord les intérêts divergents, cette liberté dont les bienfaits ne devraient plus rencontrer en France un seul préjugé hostile depuis les admirables lettres de Turgot à l’abbé Terray. Mais combien plus grande encore était la sollicitude des intendants et du conseil du roi que celle de nos préfets et de nos maires. « Il y a, dit M. de Tocqueville, des arrêts du conseil qui prohibent certaines cultures dans des terres que ce conseil y déclare peu propres. On en trouve où il ordonne d’arracher des vignes plantées, suivant lui, dans un mauvais sol. » En 1709, l’année même ou Mme de Maintenon était réduite à manger du pain d’avoine, le froid fit geler