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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

ton cette république idéale, laquelle semblerait très-peu idéale à des populations fières et mûres pour la liberté : cette république où les gardiens de la loi recherchent dans toutes les classes quel métal précieux ou vil domine dans chaque individu, l’or, l’argent ou le fer, pour dire à l’un « Toi, tu seras magistrat ; » à l’autre « Toi, tu seras guerrier ; » à un troisième « Toi, tu seras artisan ou laboureur. » Le rêve rétrograde d’une théocratie dirigeante ou d’un collége de savants et de philosophes gouvernant le genre humain et décidant en tous les genres des capacités et des mérites, ne saurait vous aller, fiers travailleurs de notre temps. Fiez-vous à la liberté du travail. Elle est le plus grand des classificateurs comme le plus grand des inventeurs. Elle est armée du plus infaillible des cribles pour faire le départ du bon et du mauvais grain, pour former les degrés mobiles de la hiérarchie des mérites. Ce crible, c’est encore la concurrence qui s’y prend brutalement quelquefois, cela est certain, mais qui agit efficacement et sûrement. C’est un rude office, savez-vous, que de mettre chacun à sa place, et on ne saurait attendre de la loi qui en est chargée, des procédés toujours doux. Mais où est la grande loi naturelle qui ne s’exerce avec une sorte de dureté souvent impitoyable pour les individus ? Et pourtant est-ce que les lois naturelles sur lesquelles et par lesquelles le monde se conserve ne sont pas bien faites ? Laissez dire cela à d’impuissants détracteurs de la divine sagesse. La grande loi de la concurrence pourra me faire souffrir dans mes prétentions injustes comme producteur ; qu’importe si j’en profite comme membre du grand public, à chaque heure du jour et dans d’incalculables proportions ? Si elle m’empêche d’exploiter les autres sans équité, elle me préserve d’être exploité par eux. En mettant leur vrai prix aux services comme aux produits, elle est la limite naturelle qui borne tous les droits et refrène tous les in-